« [Avignon OFF] Sur la route de Poucet   »  Il était une fois dans l’Ouest 

Que se passe-t-il lorsque la fiction rencontre la réalité ? Nous connaissons tous le conte de Perrault où le Petit Poucet est abandonné par ses parents dans la forêt et rencontre l’Ogre. Aux Etats-Unis, dans les années soixante-dix, un homme fut surnommé « l’Ogre de L.A », pour avoir, comme dans l’histoire, massacré ses sept filles. Alors, ici, interrogé sur son acte terrible, il se plonge dans un déni dédaléen et prend l’identité de Poucet, vagabond solitaire de l’ouest américain, jeune homme livré à lui même, qui croise la route d’autres personnages fugitifs, comme lui échappés de contes…

Disons-le tout de suite : il s’agit davantage d’un spectacle pour adolescents et adultes que pour un jeune public. Ici, l’atmosphère est sombre, inquiétante, souvent même assez macabre, à l’image de films tels que Psychose ou La Nuit du chasseur auxquels le récit emprunte quelques références savamment replacées. On y trouve aussi un petit côté Tim Burton, sans doute à cause des premières images qui ancrent d’office la représentation dans le domaine du bizarre, voire dérangeant. C’est une histoire à la mode hollywoodienne, où se croisent des airs de conte enfantin, de road-movie et de thriller, voire de western pour ce rythme lent et pesant qu’évoquent les déserts américains.

La scénographie est indéniablement admirable : un écran-rideau mobile constitué de fils scinde l’espace en plusieurs plans que les éclairages et projections modèlent d’une manière très cinématographique. Le décor évolue en direct, tantôt figuratif et abstrait, parfois sombrement psychédélique. On déplorera seulement le fait que, pour accompagner cet aspect volontairement filmique, les microphones soient un peu sur-utilisés. Bien que faisant partie intégrante de l’ambiance du spectacle, et le plus souvent bienvenus, ils semblent par moments de trop, notamment lorsque les comédiens sont au premier plan : cela produit un effet de distanciation qui brise le côté inquiétant de la représentation en faisant oublier son immédiateté.

Toutefois, le tissage entre conte et fait divers est très convaincant, et ce récit énigmatique est propice à la réflexion. Embarqués dans l’aventure, on se surprend à essayer d’en démêler les fils avant l’heure : effet thriller magistralement réussi ! A cet égard, évoquons également la musique originale (signée Olivier Antoncic et Evrard Moreau), qui joue un rôle prépondérant dans l’appréciation du spectacle – comme dans les films d’Hitchcock.

Côté interprétation, Mathieu Létuvé, dans sa mise en scène, a trouvé son point fort en la personne de Jean-Marc Talbot, dont le timbre de voix, profond et rauque, semble taillé pour ce type de narration, et marque énormément la représentation – ses intonations résonnent encore en souvenir, plusieurs jours plus tard. Damien Avice et Aure-Julie Rodenbour forment un très joli duo de personnages de conte, adolescents sans caricature, emprunts d’une gravité fantasmagorique, chargée d’émotions, particulièrement dans la relation Peau d’âne / Poucet qui fait preuve d’une complicité adelphique où se révèle la douleur sourde de l’exil. Saluons également Marvin Clech, danseur charismatique et hypnotisant dont la présence donne au spectacle ce « petit quelque chose » qui le rend entier. Enfin, une dernière mention spéciale pour les costumes (Laurie Guichard), notamment celui de Peau d’Âne, dont l’élégance et la finesse sont tout simplement sublimes.

En définitive, ce spectacle pas-si-jeune-public est un véritable concentré d’originalité, un thriller théâtral moderne et haletant qui rend hommage tant aux contes de Perrault ou de Grimm qu’au cinéma hollywoodien du milieu du siècle dernier. Un très beau moment.

 

Informations pratiques

De et Mise en scène
Mathieu Létuvé

Avec
Damien Avice, Aure-Julie Rodenbour, Mathieu Létuvé, Jean-Marc Talbot et Frédéric Faula / Martin Clech (en alternance).

Durée
1h10

Adresse
Théâtre des Lucioles
10 rue Rempart St-Lazare
84000 Avignon