"CATARINA ET LA BEAUTE DE TUER DES FASCISTES", Le vrai théâtre revient avec un texte poignant et une mise en scène magistrale de Tiago Rodrigues

Catarina et la beauté de tuer des fascistes, mise en scène Tiago Rodrigues © Filipe Ferreira

Catarina et la beauté de tuer des fascistes de Tiago Rodrigues commence à la manière d’un portrait de famille idéal ; telle une image d’Épinal qu’on retrouve à la fois dans les albums photos et dans les scènes de vie quotidienne des familles nombreuses. Les comédiens se donnent la réplique, placés comme les élèves d’une photo de classe ; assis immobiles, les uns à côté des autres avec en arrière-plan rapproché, les autres membres de la famille debout. Une grande tablée fait faire des va-et-vient, marmite en main, à un des frères et l’une des sœurs contournant ou honorant le rôle matriciel de la mère. L’arrière-scène dévoile un jardin d’un décor judicieusement agencé. Les hommes et les femmes sont costumés en jupes et chemises de couleurs sombres. Cela leur donne un air lugubre digne des années de guerre. Ancré dans une rhétorique contemporaine, le texte est en décalage et affiche une légèreté majestueuse inspirée des références du socialisme moderne de la gauche. Il y a pourtant un personnage qui incarne le silence doux de la censure, celui qui fait taire ce qui est tabou et qui intrigue.

Cette pièce jouée en portugais et sous-titré en français mérite toute son attention. La mise en scène de Tiago Rodrigues utilise les poncifs du théâtre pour frapper fort. La scénographie nous plonge dans l’intimité d’une maison de famille. Chaque membre assume son rôle en son sein avec une personnalité propre. Le dramaturge Tiago Rodrigues vient alors bousculer les valeurs traditionnelles de la famille et secoue le secret. Il assume de créer des étincelles de malaise comme il le précise à propos de sa pièce, à tout moment. Le fascisme est rendu intolérable. Et l’instauration d’une nouvelle liberté « libre et heureuse » semble fricoter avec l’utopie d’un temps révolu et pourtant renouvelé, bien inscrite dans le présent. Mais une question viscérale et fondamentale émerge concernant la violence provoquée par le noyau nucléaire des valeurs traditionnelles de la famille et des convictions héritées. Comment instaurer une nouvelle république ? En faisant feu de tout bois avec une violence savamment orchestrée pour mieux tuer la violence ? Le texte est une poésie vivante, une ode sanguinaire à l’esprit de révolte et au partage. L’adage créé pour la circonstance « n’hésitez pas à faire du mal pour pratiquer le bien » heurte et glorifie l’atmosphère ambiante sur scène. Le fil conducteur sous-tend l’évocation d’un dilemme savant. Comment se départir du fascisme. Le rythme de la pièce questionne tout au long de la pièce. Voilà du théâtre vivant et fictif qui invite à la réflexion en rendant hommage à Brecht, et à Gandhi. La dramaturgie est latente et le dénouement est poignant. La fin est révoltante.

Tiago Rodrigues a frappé fort et juste. Les lignes immuables des valeurs de la familles sont bousculées de part et d’autres. Nouveau directeur du Festival d’Avignon depuis le 1er août 2022, ce dramaturge portugais est le premier d’origine étrangère à être nommé à la tête de la plus grande manifestation de théâtre en France. De quoi nous tenir en haleine pour la programmation de la prochaine saison. Réservez vite si vous êtes intéressé.e.s, la salle affichait déjà salle comble. La pièce est publiée aux Solitaires Intempestifs.

Catarina et la beauté de tuer des fascistes, mise en scène Tiago Rodrigues © Filipe Ferreira

Informations pratiques

CATARINA ET LA BEAUTE DE TUER DES FASCISTES – Création 2020
déconseillée aux moins de 16 ans

Texte et mise en scène
Tiago Rodrigues

Avec
António Afonso Parra, António Fonseca, Beatriz Maia, Carolina Passos Sousa, Isabel Abreu, Marco Mendonça, Romeu Costa, Rui M. Silva

Scénographie F. Ribeiro
Lumières Nuno Meira
Adaptation Lumières pour Bouffes du Nord Rui Monteiro
Costumes José António Tenente
Création et design sonore, musique originale Pedro Costa
Chef de chœur, arrangement vocal João Henriques
Conseillers en chorégraphie Sofia Dias, Vítor Roriz
Conseiller technique en armes David Chan Cordeiro
Assistante mise en scène Margarida Bak Gordon
Traduction du texte Thomas Resendes (Français)
Surtitrages Patrícia Pimentel
Collaboration artistique Magda Bizarro