« C’est la vie », mise en scène Claude Brozzoni au Théâtre du Rond-Point

Article de Sébastien Scherr

Récit amer et philosophe

Un seul en scène, ou presque. Jean-Quentin Châtelain, comédien genevois à l’accent traînant et à la bonhomie sympathique, incarne le dramaturge autrichien Peter Turrini, qui se raconte dans un long monologue accompagné par deux musiciens. La musique est omniprésente, de sorte que l’on peut trouver que c’est le texte qui accompagne la guitare électrique de Grégory Dargent et le clavier électronique de Claude Gomez. Leur musique, un mélange de Kraftwerk et de jazz avec des notes orientales, berce la narration dans un ronron monocorde, n’étaient-ce l’énergie étonnante que le comédien apporte à ce récit doux-amer dans les élans de rage où le personnage hurle son désespoir.

Cest-la-Vie-filage_isabelle_fournier_2© Isabelle Fournier

Peter Turrini est un autrichien d’origine italienne né au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Issu d’un milieu populaire, il est le fils d’un artisan menuisier, benjamin d’une petite fratrie. Son enfance est une souffrance. La souffrance d’un pauvre qui a la malchance d’être intelligent et de vouloir s’en sortir, de plaire à sa maîtresse d’école et de déplaire à ses camarades de classe. Mal aimé de son père, chéri par sa mère, il atteint douloureusement l’adolescence, déjà meurtri par une incompréhension du monde des humains. Car le récit autobiographique que va dérouler le dramaturge est celui d’un misanthrope réfugié dans les lettres pour échapper à une société où il ne trouve pas sa place et qui le malmène. Adolescent, le jeune homme sera maltraité par l’amour, une obsession naissante du sexe le plaçant dans une double frustration : incommunicabilité de sa poésie avec les femmes et inassouvissement de ses désirs. Notre vilain petit canard aura cependant la chance d’être recueilli par un riche compositeur, où il va fréquenter hommes de lettres et artistes, et même un futur prix Nobel de littérature, que le narrateur se prive de nommer. Là, il va découvrir un océan de vie. Il va dévorer les livres, s’instruire et accéder enfin à lui-même par l’invention. Adulte, il errera encore dans une vie affective déséquilibrée avant de trouver son accomplissement dans l’écriture dramatique.

Cest-la-Vie-filage_isabelle_fournierautomne_1© Isabelle Fournier

Le texte de Turrini, mi-naïf mi-désabusé, offre une part d’humour et de distance sur cette vie passée, faite d’aucun trouble majeur mais d’une perpétuelle douleur à exister. La prestation du comédien est convaincante par son incarnation, même si la pièce ne permet pas beaucoup d’action. Mais la mise en scène est peu astucieuse. Elle choisit de souligner le texte par des sons électroniques de guitare saturée. Un écran vient encore sur-expliquer le récit au spectateur qui serait décidément dur d’oreille, par la projection d’images plus ou moins heureuses, comme celle de ce cloporte sur le dos qui n’arrive pas à se relever, allusion appuyée à la métamorphose de Kafka. Pourquoi ce récit autobiographique a-t-il besoin d’être porté sur scène ? Parce que c’est celui d’un dramaturge ?

 

C’est la vie
Texte Peter Turrini
Mise en scène Claude Brozzoni
Avec Jean-Quentin Châtelain
Composition et interprétation musicale Grégory Dargent, Claude Gomez
Traduction Sylvia Berutti-Ronelt
Assistanat à la mise en scène Dominique Vallon
Scénographie Elodie Monet
Lumière Nicolas Faucheux
Son Titou Victor
Costumes Pascale Robin
Vidéo Jean-Paul Lebesson
Construction Décor Espace et Cie

Du 17 novembre au 13 décembre 2015

Théâtre du Rond-Point
2 bis, av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
www.theatredurondpoint.fr