« Il cielo non è un fondale », de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, au Théâtre de l’Odéon (Ateliers Berthier)

Article de Marianne Guernet-Mouton

Réchauffer le monde, le radiateur réenchanteur

Comme Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini créent un nouveau spectacle percutant dont l’économie de moyens surprend dès le départ. Après avoir travaillés sur le drame d’un suicide collectif de retraitées grecques à cause de la crise économique, les comédiens ont nourri une réflexion plus aboutie sur la précarité et l’inconnu.

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© Elisabeth Carecchio

Influencés par leur lecture des œuvres d’Annie Ernaux qui par exemple, avec son Journal du dehors, s’est intéressée à l’écoute des autres, tenant comme un registre de tout ce qu’elle entendait dès qu’elle sortait dans les transports en commun ou les supermarchés, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini explorent notre rapport à autrui et la manière dont notre parole ou notre écoute nous procure un sentiment d’existence. En résonance directe avec l’actualité, leur création interroge le sentiment de responsabilité que nous pouvons ressentir face aux autres, et notamment face à quelqu’un qui serait allongé par terre dans la rue, ne réclamant rien, mais dévoilant tout d’une société qui les a exclus. Les quatre comédiens, à partir du rêve de l’un d’eux qui aurait vu Daria allongée dans la rue et se serait demandé quoi faire sans pour autant s’arrêter pour lui porter secours, jouent à partir de leurs propres expériences personnelles le sentiment de responsabilité ou de culpabilité qu’une telle situation leur inspirerait si cela arrivait. Là où la troupe excelle, c’est que tous parviennent à troubler la frontière entre rêve et réalité, avec beaucoup de douceur et de lucidité, ils semblent spontanés dans leur prise de parole et créent des situations aussi cocasses que dramatiques. À dose homéopathique, ils injectent du rire dans des scènes tragiques où ils esquissent les vies abandonnées de certains de leurs personnages. Une scène nous marque particulièrement, lorsque Daria se rend au supermarché et se demande ce qu’il faudrait qu’elle achète pour avoir la sensation de mener une vie normale. Impeccablement orchestré, Le ciel n’est pas une toile de fond est un spectacle miné de détails d’une perspicacité déconcertante sur nos vies. À la manière d’Annie Ernaux, ils nourrissent leur jeu de ce qu’autrui leur a appris d’eux, ils cherchent à comprendre ce que l’on donne à ceux qui demandent de l’aide et dans quelle mesure nous aidons vraiment les autres plus que nous. À plusieurs reprises, on nous demande de fermer les yeux, et la parole devient performative au point que quand l’un évoque des épisodes de sa vie ou de ses rêves, et que l’on ré-ouvre nos yeux, les autres ont chuté au sol quand il a été question de ce retour récurrent à la précarité et au rêve de départ comme si notre propre rapport à la réalité était mis en cause. Lorsque Daria Deflorian, touchante dans ses moindres gestes cherche à comprendre suivant quelles circonstances on se retrouve quelque part et d’où vient et persiste le sentiment de nostalgie qui nous traverse, on réalise que tout peut bien se passer, nous pouvons nous passer de tout.

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© Elisabeth Carecchio

En dernier recours et pour pallier à un monde devenu trop sombre, les comédiens font appel au radiateur, nouvel objet d’utilité publique dont ils recouvrent la scène pour réchauffer le monde, et cette scène qu’ils finissent par quitter. Toute la réussite de Il cielo non è un fondale tient dans cette capacité à faire du paysage intérieur, celui de nos rêves et de nos pensées, tout un décor mental, qui dans une fulgurance, se projette sur scène et se réalise sous nos yeux.

 

 

Il cielo non è un fondale

De Daria Deflorian et Antonio Tagliarini

Avec Francesco Alberici, Daria Deflorian, Monica Demuru et Antonio Tagliarini

 

Du 9 au 18 décembre 2016

 

Odéon Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier

1 Rue André Suares

75017 Paris

http://www.theatre-odeon.eu/fr/