« Don Juan revient de la guerre » mise en scène Guy Pierre Couleau, au Théâtre de l’Atalante

Article de Marianne Guernet-Mouton

Une pour toutes, toutes pour une

Don Juan revient de la guerre, actuellement jouée au Théâtre de l’Atalante, est une pièce qui a été écrite par Ödön von Horváth en 1937. Guy Pierre Couleau, directeur de la comédie de l’Est, en propose une mise en scène misant sur l’essentiel où le décor est minimal, restituant le texte avec une grande justesse. Don Juan, incarné par Nils Öhlund, est un homme désabusé et en perdition lorsqu’il revient de la Grande Guerre où il a frôlé la mort à deux reprises, avec l’idée fixe de retrouver celle qu’il avait abandonnée le jour de ses noces, avant de partir. Dans sa quête, il rencontre trente-cinq femmes incarnées à tour de rôle par deux actrices époustouflantes : Carolina Pecheny et Jessica Vedel, séduites sans jamais être aimées, prêtes à tout pour être cette femme que Don Juan recherche vainement.

don_juan_revient_guerre© André Muller

Alors que l’Autriche démobilise, Don Juan, revenu de la guerre le cœur abîmé se décide à n’aimer qu’une seule femme, celle qu’il croit pouvoir trouver en train de l’attendre, alors que celle-ci est morte de chagrin deux ans plus tôt. Égaré et en quête de rédemption, Don Juan est convaincu d’avoir changé : « Cette chère guerre (…) avait fait de moi un homme meilleur », pense-t-il. Pourtant son errance à travers l’Allemagne va le conduire à recommencer à séduire sans jamais aimer, et la situation économique va le pousser à devenir marchand d’art. Sur une scène seulement occupée par une table et quelques chaises, le metteur en scène a misé sur une lecture au plus près du texte où les changements de costumes se font à vue, avec comme toile de fond un lourd rideau permettant d’incroyables jeux d’ombres et de pantomimes. Un rideau rouge au premier acte, doré au second, blanc pour finir. Ainsi, du sang lié au retour de la guerre laisse place la frivolité de la séduction et l’appât du gain signifiés par le rideau doré. Enfin, viendra le rideau blanc, celui de cette neige du tableau final recouvrant Don Juan, comme l’anéantissement de ses illusions, Don Juan que l’on ne croit plus lorsqu’il se dit innocent.

DonJuan03_©andre-muller-© André Muller

« Pourquoi seuls les hommes pourraient-ils être des Don Juan ? » ose se demander l’une des femmes séduite par cet homme qui se croit inoffensif alors même qu’il ne sème que le malheur. Dans sa quête de rédemption, Don Juan revenu de la guerre le cœur blessé va donc croiser beaucoup de femmes, de la bourgeoise à la putain, de la jeune fille à la veuve de guerre, ces femmes sont tour à tour hautement incarnées par deux actrices jouant avec précision et ne tombant jamais dans la caricature. Par leur nombre et leur volonté d’être cette femme idéale que Don Juan recherche, ces femmes renforcent la légende du séducteur toujours plus avide et cupide. Un séducteur qui lorsque dans son errance parvient enfin au village de sa fiancée, apprend par la grand-mère de la jeune femme qu’il cherche une morte, qu’il cherche la mort. La mise en scène de Guy Pierre Couleau rend admirablement cette quête impossible d’un Don Juan que la guerre n’a pas changé, ainsi que l’atmosphère de l’Allemagne des années 30, une Allemagne rongée par la crise et l’inflation. Que veut Don Juan ? Quoi que l’on fasse, Don Juan reste une énigme, il reste ce séducteur qui n’aimera jamais aucune femme et à qui aucune femme, pas même la femme des années 30 croyant en son émancipation, ne résiste. Toutes lui rappellent une femme et toutes aspirent à être cette femme, alors Don Juan obtient tout sans jamais rien offrir. C’est avec force et simplicité que la pièce est mise en scène, pour un résultat extrêmement poignant, rythmé par un tourbillon de corps où le peu d’artifices mis en œuvre est efficace, juste et très esthétique.
Ainsi, la guerre aura tout anéanti, même le plus grand séducteur de l’histoire victime de son effet, qui finira par avouer comme s’il s’adressait à sa fiancée « Je te chercherai toujours comme si tu étais vivante ». On ressort alors du théâtre avec cette idée incroyablement mise en scène et incarnée par les acteurs que même l’homme qui aime le moins peut être celui qui plus que tous, voudrait aimer.

Don Juan revient de la guerre
Mise en scène et scénographie Guy Pierre Couleau
De Ödön von Horváth
Assistant à la mise en scène Bruno Journée
Création lumière Laurent Schneegans
Avec Nils Öhlund, Carolina Pecheny, Jessica Vedel

Du 11 au 23 décembre 2015

Théâtre de l’Atalante
10, place Charles Dullin
75018 Paris
http://www.theatre-latalante.com