Entretien avec Elena Serra : « Ce n’est pas moi qui ai choisi le mime, c’est lui qui m’a choisi ! »

Invitée au Festival MIMOS à Périgueux, Elena Serra mime, artiste-pédagogue, metteur en scène présente « La parole du silence», un spectacle ironique et poétique où elle évoque son parcours de femme-mime et célèbre l’histoire des Arts du Mime et du Geste à travers de grands Maîtres tels Étienne Decroux et Marcel Marceau. Disciple de ce dernier, Elena Serra l’assiste durant plus de 15 ans jouant dans les spectacles de sa Compagnie qui ont fait le tour du monde. Sa formation pluridisciplinaire (théâtre, clown, mime, danse) l’oriente vers une pédagogie où le corps, premier instrument porteur de la dramatique devient capable d’interpréter le langage au service de l’acteur. En 1998, elle rejoint Maxime Nourissat dans la Compagnie Mime de Rien et ensemble ils développent des projets artistiques et pédagogiques destinés à un large public toujours dans le souci d’un théâtre physique, populaire et pluridisciplinaire. Depuis plus de 20 ans, l’artiste engagée dirige des Masterclass dans différentes Écoles de Théâtre, Universités et Festivals en France et Europe. À MIMOS, elle anime une Masterclass sur le thème de la famille. Attachée à la transmission, Elena Serra est codirectrice du Collectif des Arts du Mime et du Geste et membre du GLAM (Groupe de Liaison des Arts du Mime et du Geste).

 

Paula Gomes : Vous êtes mime, artiste-pédagogue et metteur en scène, quelle a été votre formation artistique et qu’est-ce qui vous a conduit à devenir mime ?

Elena Serra : « Ce n’est pas moi qui ai choisi le mime, c’est lui qui m’a choisi ! »
Originaire du sud de l’Italie (région des Pouilles), je suis issue d’une grande famille dont je m’inspirais déjà très petite. Mon père adorait l’opéra. À travers les imitations de mes proches, le mouvement mime s’est imprégné en moi. J’ai fait 10 ans de danse et de dessin, des arts où le corps et le mouvement occupent une position centrale avec une certaine poésie, tout comme l’art du Mime. Formée aux Beaux-Arts de Turin dans la branche Costumière, j’ai aussi obtenu un diplôme de fin d’étude en danse contemporaine à l’École Teatro Nuovo de Turin. En 1985 à Montepulciano (Toscane-Italie), je rencontre Marcel Marceau lors d’un stage d’été au Cantieri Internazionali d’Arte. Il me propose de rejoindre son École Internationale de Mimodrame à Paris. Arrivée à 19 ans, j’en sors diplômée 3 ans après. Marceau me demande alors de le suivre en Amérique pour un grand séminaire d’été et par la suite à mener notre collaboration me confiant l’enseignement dans son École en raison de ses fréquentes tournées. Nourrie de mes propres inspirations et d’une formation pluridisciplinaire en théâtre, clown, mime, danse et chant, je transmets tout en continuant le théâtre, la danse et ma formation à l’École de Mime Corporel dramatique de Paris (Méthode Étienne Decroux) et auprès d’autres pédagogues et metteurs en scène : Carlo Boso, Dario Fo, Ariane Mnouchkine et Eugenio Allegri.

P.G. : Marcel Marceau a été un grand Maître pour vous, quelles autres personnes ont influencé votre parcours d’artiste et de pédagogue ?

Elena Serra : Marcel Marceau a apporté beaucoup à la pédagogie ainsi qu’Étienne Decroux et Jacques Lecoq dans leur école à la même époque. Ils m’ont appris que l’on pouvait se passer de la parole, le langage du corps était la base, le premier instrument porteur de la dramaturgie. Le travail du corps de l’acteur et la dynamique du mouvement sont pour eux essentiels, ils y ont consacré leurs recherches. J’étais jeune mais Marceau m’a fait confiance lorsque ensemble nous avons retravaillé sur les chorégraphies des quatre éléments et dans la transmission de son répertoire de Pantomime de Style à l’École Internationale de Mimodrame à Paris. En 1992, j’ai rejoint la nouvelle Compagnie Marceau où j’ai été interprète dans toutes ses créations en tournées mondiales durant 15 ans, tout en dispensant des formations.
Ceux qui ont nourri aussi mon imaginaire sont Federico Fellini et Charlie Chaplin, ainsi que ma famille et en particulier ma fille lorsque je suis devenue mère. Carlo Boso avec qui j’ai longtemps collaboré, m’a permis d’enseigner les Arts du Mime et de la Pantomime à son Académie des Arts du Spectacle depuis 2005. Je ne me considère pas pédagogue mais plutôt une artiste qui transmet son savoir et sa technique à ses «enfants d’art».

 

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© Alessandro Brugnettini

P.G. : « La parole du silence » est un bel hommage au mime et à ses fondateurs. Sous forme d’une conférence loufoque, le récit autobiographique porte un regard ironique sur la femme mime. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce nouveau spectacle ? Est-ce difficile d’être femme, mère et artiste mime ?

Elena Serra : J’ai enfin l’audace de parler de mon parcours, celui d’une femme, mime et mère à la fois, un défi impossible que j’ai relevé ! J’ai choisi pour mettre en scène ce nouveau spectacle Eugenio Allegri, acteur, metteur en scène et dramaturge italien hors pair pour lequel Alessandro Baricco a écrit le texte «Novecento», il est aussi formateur et clown. En 2013, la version en italien est créée épaulée par Francesca Lo Bue, puis la version française en 2017 grâce à la collaboration avec la Cie Le Théâtre des Lumières et Aurèlia Bartolomé. Dans cette proposition tout public, deux personnages haut en couleur portent un regard sur l’histoire du Silence, du Geste, du Mime, de ses Maîtres et des figures remarquables de l’Antiquité à nos jours. La transmission et la pratique montrent la force universelle de cet art, un merveilleux langage universel empli de poésie.

P.G. : Présenté fin 2017 au Théâtre du Ranelagh à Paris, ce spectacle sera au programme du Festival MIMOS à Périgueux. À quelle date ? Prévoyez-vous une tournée ?

Elena Serra : Après un très bon accueil du spectacle au Théâtre du Ranelagh lors de la Biennale des Arts du Mime et du Geste en novembre dernier, j’ai été invitée à le jouer dans le IN du prochain Festival MIMOS le jeudi 26 juillet à 18h au Théâtre de Périgueux. Le spectacle sera repris au Théâtre du Ranelagh pour six nouvelles représentations à partir d’octobre 2018. C’est un lieu que j’affectionne, j’y ai présenté ma première création « Les couleurs de la pluie » en 1995 avec la Compagnie Aria Teatro que j’ai codirigée avec Emmanuel Vacca et Luca Franceschi.

P.G.: Lors du Festival MIMOS, vous animez une masterclass sur le thème de la famille. À qui est-elle destinée et quel en est l’objectif ?

Elena Serra : Durant 3 jours à Périgueux, je propose avec la Masterclass «Le corps en morceaux» à des adultes professionnels ou non, de vivre l’expérience Mime. J’ai développé ma pédagogie autour du corps toujours dans le souci d’un théâtre physique et populaire. Peut-on se passer de la parole pour tout jouer sur la scène ? Grâce à la maîtrise du corps, premier instrument dramatique et universel, à des techniques et outils variés, les participants vont mimer, devenir, faire corps, partager pour ensemble créer une famille capable de nous faire rire et émouvoir. Le Mime est comme un jeu d’enfants, un rêve qui s’exprime avec audace, les espoirs et dérives du monde, qui nous pousse à nous redécouvrir, faisant de l’ordinaire l’extraordinaire.

 

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© Alessandro Brugnettini

P.G. : Quelle est la place du mime aujourd’hui ? Et pour les jeunes générations d’artistes ?

Elena Serra : Les grands Maîtres du Mime sont français, Marceau, Decroux s’accordaient à dire que l’on pouvait se passer de la parole mais que le mime silencieux ne durerait qu’un temps. L’École Internationale de Mimodrame de Marceau a fermé en 2005 et malheureusement depuis il n’y a plus d’école nationale. L’Art du Mime et du Geste ne met pas seulement en avant le geste mimique, le répertoire et tout ce qu’ont transmis les Maîtres disparus, non c’est un chemin sur l’être humain et ses débordements, ses passions, ses peurs, ses désirs les plus profonds. Ce n’est pas un mime d’imitation mais d’incarnation avec des outils et des techniques bien spécifiques. L’art du Mime peine en France contrairement à l’international car il a souffert de plagiat. Par la connaissance et la maîtrise de cet art, chaque artiste peut y trouver sa propre voie. Il est important de le défendre sur les planches, d’intimer le cri du silence dans sa transmission et de le diffuser à un large public comme j’espère le faire à travers la transmission et les projets artistiques que je mène au sein de la Compagnie Mime de Rien depuis 20 ans. Avec les marionnettes, la danse contemporaine, l’apparition du nouveau cirque, des arts émergents se sont développés et s’associent parfois aux nouvelles créations. Un groupe de professionnels est né en 2008 : le GLAM et avec le Collectif des Arts du Mime et du Geste crée en 2012 dont je suis codirectrice, nous organisons depuis 2015 la Biennale des Arts du Mime et du Geste dont deux éditions sont passées (2015/2017) et nous sommes déjà sur le chantier de la prochaine édition 2019. Chantal Achilli, directrice du Festival MIMOS a une vision avant-gardiste et travaille à la mise en place d’un Centre de ressources virtuel des Arts du Mime et du Geste : SO MIM. Un nouveau label du Ministère de la Culture a été donné lors de l’édition 2017 du Festival MIMOS.

 

P.G. : Qu’est-ce qui est important pour vous ?

Elena Serra : L’émotion !

 

P.G. : Quelle est votre actualité à venir ?

Elena Serra : « La parole du silence » sera au Théâtre du Ranelagh pour six nouvelles dates du 23 octobre 2018 au 19 mars 2019. Nous préparons la 3ème Biennale nationale des Arts du Mime qui se déroulera du 9 novembre au 15 décembre 2019 avec le Collectif des Arts du Mime et du Geste que je codirige, en collaboration avec différents acteurs de la profession : une programmation riche de spectacles, des ateliers et des tables rondes.

 

Informations pratiques


LA PAROLE DU SILENCE
Mise en scène   Eugenio Allegri
Écriture et Interprétation Elena Serra
Avec la collaboration artistique Aurélia Bartolomé et Francesca Lo Bue
Production  Cie Mime de Rien


Durée
1h15

Dates
Jeudi 26 juillet à 18h – Festival MIMOS Le Théâtre à Périgueux
23 octobre, 20 novembre,18 décembre 2018 et 22 janvier,19 février, 19 mars 2019 – Théâtre du Ranelagh Paris

Le corps en morceaux (Masterclass)
Lundi 23 au mercredi 25 juillet 2018 – Festival MIMOS à Périgueux

MIMOS 36ème édition – Festival international des Arts du Mime et du Geste
Du 23 au 28 juillet 2018

Adresse
L’Odyssée – Festival MIMOS
Esplanade Robert Badinter
24000 Périgueux

Informations complémentaires

Compagnie Mime de Rien :
http://www.mimederien.com/

MIMOS – Festival international des Arts du Mime et du Geste :
https://www.mimos.fr/

Collectif des Arts du Mime et du Geste :
http://www.collectifartsmimegeste.com/