Entretien avec Thomas Pouget : «Je crois au public, je crois au théâtre, et je crois que chaque soir, on peut se battre, toucher et convaincre des gens.»

Entretien réalisé par Ondine Bérenger

En 2015, Thomas Pouget jouait dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes dans Le Roi Lear, mis en scène par Olivier Py, qu’il assistait. Cette année, il revient à Avignon dans le cadre du OFF, avec sa Compagnie de la Joie Errante, où il présente un texte de l’actuel directeur du festival, Epître aux Jeunes acteurs, pour que soit rendue la parole à la parole.

En toute sympathie, il a accepté de nous accorder un entretien au cours duquel il nous a fait part d’une véritable profession de foi envers la force de l’art théâtral.

Merci à Juliette L. pour l’aide à la retranscription

 

Ondine Bérenger : Comment en es-tu venu à faire du théâtre ?

Thomas Pouget : J’aimais beaucoup la poésie quand j’étais petit. Je me souviens que je prenais un réel plaisir à apprendre les poésies et surtout, je ne les apprenais pas avec n’importe qui : je les apprenais avec ma grand-mère, qui est une femme ô combien précieuse et extraordinaire. Je me souviens que l’on avait une autre façon d’apprendre la poésie : elle me la jouait pour que je retienne mieux. Ce qui faisait que quand j’arrivais à l’école, j’avais pris tellement de plaisir à l’apprendre que j’avais des 20/20. Ça a commencé comme ça, grâce à ma grand-mère. J’étais un enfant assez introverti, pas très rigolo, je n’étais pas épanoui, très timide, assez fermé sur moi-même. Ma sœur a commencé à faire du théâtre, et je me suis dit que c’était peut-être la solution pour m’ouvrir beaucoup plus aux autres. Du coup, j’en ai fait une année, puis au fur et à mesure, chaque année, quand les gens me disaient « il faut que tu continues, c’est génial, t’as un truc », à chaque fois j’y ai cru, alors j’ai continué. Et puis, j’aimais beaucoup lire quand j’étais petit. Pas tellement de la littérature française, mais beaucoup d’heroic fantasy, ça me faisait rêver. Je pense que c’est pour ça. Je me suis dit que c’était le meilleur métier possible : tu peux faire des milliers de rôles en une vie, et c’est très bien comme ça.

ThomasP_©Mila_Savic

© Mila savic

O.B : Tu es à la fois comédien et metteur en scène. Qu’est ce qui t’attire dans ces deux exercices ?

T.P : Eh bien, jouer et mettre en scène ! Comédien, j’aime incarner et j’aime interpréter, pas de doute là-dessus. Je peux être quelqu’un d’autre, et j’aime le contact direct avec le public, voir les gens en face, jouer avec eux, voir les réactions, essayer de tous les prendre dans la représentation avec moi et me dire « je n’en lâche aucun, et on se lance ensemble dans une belle aventure ». La mise en scène, c’est parce que j’adore la direction d’acteurs. J’adore pousser les gens à trouver ce truc-là qui est hyper précieux, voir ce moment de jubilation où ils se découvrent sur le plateau. Mais je trouve que c’est plus difficile à gérer que le jeu, parce que pour arriver à faire dire aux autres ce que tu aimerais qu’ils disent, ou à faire passer ce que tu aimerais qu’ils fassent passer, c’est compliqué. Parfois, tu ne sais plus comment le dire, comment faire ou comment l’exprimer. Alors qu’en tant que comédien, si tu as quelqu’un en face, tu es dans la position de celui qui reçoit – de celui qui propose aussi – le metteur en scène a une sacrée responsabilité. Il défend l’esprit du spectacle, donc il doit rester logique avec lui-même, ne pas se laisser influencer par les autres. Sachant que tout ça doit se faire aussi ensemble, je trouve ça très compliqué. Mais c’est bien évidemment génial et passionnant, pour ces moments où tu trouves ce que tu veux, pour le choix des pièces que tu veux défendre, pour la rencontre avec les acteurs, etc…

O.B : Justement, au festival d’Avignon, tu présentes L’Epître aux jeunes acteurs d’Olivier Py. Pourquoi ce texte ?

T.P : Pour deux raisons. C’est la première pièce que je veux défendre avec ma compagnie, donc c’était hautement symbolique de choisir un texte qui défend son éthique, à savoir la parole, un théâtre exigeant, populaire et accessible à tous, avec un plateau épuré pour que l’acteur soit vraiment au centre. Pour un premier projet, je pense que c’est important de défendre ce que tu es. Par ailleurs, c’est venu assez naturellement, parce que je montais une partie du texte au conservatoire. Un midi, quand j’ai dit que je montais L’Epître, Olivier m’a demandé pourquoi je ne le faisais pas en entier. J’ai dit « Ok ». Voila pourquoi ce texte : parce qu’il est magnifique et parce qu’il faut à tout prix que cette parole soit entendue pour ce qu’elle dit actuellement. Beaucoup sont contents du nivellement par le bas, et je souhaite proposer autre chose. C’est Alexandre Astier qui dit dans une interview qu’il ne faut pas confondre la prise de tête avec le fait de réfléchir, c’est très juste.

O.B : Quelle place penses-tu que le théâtre occupe dans la société, et quelle place devrait-il selon toi occuper ?

T.P : Une place vitale. Je ne comprends pas que le théâtre ne soit pas obligatoire. Ça devrait être obligatoire à l’école primaire. Quand je vois des jeunes qui sont mal dans la cour (et forcément je m’identifie à ça par rapport à mon vécu), tous ces jeunes qui sont exclus pour une raison ou une autre… pour moi, la réponse à ça, c’est la culture et le théâtre.

Aujourd’hui, hélas, il n’a pas cette place-là : on assiste à un assassinat en règle de la culture. Avec les baisses de subventions, avec les suppressions de festivals, la parole n’a plus la même place qu’avant. Quand tu vois des spectacles où parfois il y a beaucoup, beaucoup d’écrans, et il n’y a plus de gens qui parlent, pour moi, ce n’est pas ça le théâtre. Je veux des gens qui mettent leurs tripes sur le plateau, qui te fassent vibrer, qui y mettent tout leur cœur, toute leur âme et qui se livrent ! Effectivement, c’est crevant, et au bout d’une heure ou deux tu es vidé, mais tu es tellement plus heureux, tu as vraiment donné et partagé ! Je ne veux pas du théâtre facile, je ne veux pas du théâtre bourgeois, je ne veux pas du théâtre où ce ne serait pas rigoureux – et je n’oppose pas le professionnalisme à l’amateurisme – il faut du travail, il faut que ce soit calé, il faut que ce soit précis. C’est un métier, ce n’est pas du dilettantisme.

Le théâtre est là depuis plus de 5000 ans, on se souviendra encore d’Eschyle, d’Euripide, de Shakespeare, de Py – je le souhaite. On s’en souviendra 100 ans, 200 ans, un millénaire après leur mort parce que ce sont des poètes. Les hommes dits ‘’politiques’’, je crois qu’ils ne resteront pas dans un millénaire, et ça me rassure. La culture vaincra. Si tu regardes bien, tout ce qui se passe actuellement, ce sont des problèmes d’éducation et de culture. C’est ce que dit le texte d’Epitre aussi : «On ne va tout de même pas lire des pages de philosophie à nos frères des quartiers, parce qu’ils sont naturellement doués pour le sport et les percussions. » Je trouve ça absurde, mais c’est ce que pensent certains. Et c’est là où il y a eu une erreur, il y aurait dû y avoir beaucoup plus de mixité sociale à une époque. Mais ça ne s’est pas fait, et aujourd’hui, pour rattraper ces deux bouts, c’est un gros problème. Tout ça aurait pu être réglé par l’éducation à la base. L’éducation et la culture que tu donnes aux enfants sont pour moi le plus important pour grandir ensemble. Mais encore une fois, l’éducation Nationale n’a pas ce désir-là de mettre le théâtre en avant et je ne sais pas pourquoi. Peut-être que le théâtre fait peur, parce qu’il fait réfléchir, penser et se questionner. Peut-être que pour certains puissants, c’est plus facile d’avoir un peuple très bête et inculte. C’est pour ça que le théâtre fait peur. La danse, la musique, ça dérange moins, ça parle moins au niveau du texte. Ça ne veut pas dire que c’est moins puissant. Pour la danse, l’interprétation que tu peux en avoir est beaucoup plus libre alors que les mots, s’ils sont incarnés vraiment dans leur force première, tu entends la parole et « le reste est silence ».

O.B : En parlant de danse et de musique, t’intéresses-tu professionnellement à d’autres formes d’art ?

T.P : Beaucoup. La prochaine étape, c’est d’écrire une pièce qui sera pour ma grand-mère. Je veux aussi faire du chant lyrique. Danser, oui, sur le plateau, j’aimerais bien. C’est important de s’intéresser à d’autres formes d’art. Ca nourrit beaucoup, que ce soit musique, danse, théâtre …

O.B : Et le cinéma ?

T.P : Grande question. Ca me plairait beaucoup, le cinéma, mais c’est un métier et un milieu tellement différents… J’en ai déjà fait un peu, mais je préfère le contact direct avec les gens sur un plateau. Je préfère commencer par le théâtre, avoir de bonnes bases et savoir comment je défends des paroles pour justement, après, arriver sur un plateau de cinéma et être bien. Mes prochains projets, c’est ça : me remettre à chanter, écrire ma pièce, être édité ce serait très bien, finir une traduction aussi, j’y tiens… Et puis, j’aimerais faire des opérettes.

O.B : Y a-t-il un rôle que tu rêverais de jouer ?

T.P : Il y en a deux. J’aimerais beaucoup jouer Hamlet, mais ça, évidemment, c’est classique. J’aimerais aussi beaucoup jouer le Faust de Pessoa, je trouve que c’est un rôle magnifique, mais qui demande tellement de bagage, et en même temps, c’est un rôle qui m’a toujours beaucoup intrigué. Faust et Hamlet. Sinon, j’aime aussi beaucoup les créations, surtout le travail d’équipe, mais là encore, ça pose la question de la mise en scène, comment, pourquoi, quelle place pour le metteur en scène… Ce sont des questions passionnantes. On est tous les jours en apprentissage.

O.B : Tu parlais tout à l’heure du théâtre à l’école primaire. Aimerais-tu monter des spectacles jeune public ?

T.P : C’est l’un de mes prochains projets. J’aimerais monter les Lettres de mon moulin en jeune public. Je trouve que c’est une langue fabuleuse. Quand je lis, j’ai l’impression d’être au village et de revoir cette époque. Ce que ce livre raconte me parle beaucoup. L’idée, à terme, ce serait de le faire tourner dans un festival que je veux créer – parce que je veux aussi créer un festival en Lozère. Mais ce n’est pas fait, encore. Le jeune public, j’y suis très attaché. Ca rejoint ce que je disais sur l’éducation et la culture, ça passe par là. Et il y a du boulot.

O.B : En tant que spectateur, qu’est-ce qui te marque le plus dans une représentation ?

T.P : Ce qui est compliqué, c’est que comme je suis metteur en scène, parfois, j’ai du mal à abandonner le metteur en scène que je suis. Du coup, les beaux spectacles, pour moi, c’est quand je suis vraiment emporté par ce qui se passe, et que je ne m’occupe même plus de la mise en scène. Après, j’adore voir les acteurs sur le plateau. J’adore voir les acteurs s’amuser, et c’est quelque chose qui ne triche pas. Tu vois si l’acteur est heureux ou pas, s’il est en adéquation avec la pièce ou pas. Ca se sent très vite. Sur un plateau, on joue quelqu’un d’autre mais on ne ment pas, on incarne. Tu meurs chaque soir, tu mets tout ton cœur à mourir, trois minutes après les gens applaudissent et tu revis.

O.B : Que reprocherais-tu à ton métier ou à la façon dont il s’exerce aujourd’hui ?

T.P : Beaucoup de jalousie, je trouve que ça tue le métier. Parfois, il y a beaucoup de faux-semblants. Je crois que ce n’est pas grave de dire à un copain « ton spectacle, je n’ai pas aimé », plutôt que de trouver des phrases comme « oh c’est intéressant, il y a du travail ». Je trouve le métier très beau, mais je trouve le milieu malsain parfois. Un homme qui vient d’en bas, qui a mis les pieds dans la terre et qui a les pieds sur terre peut s’adresser au ciel. Ca, c’est un truc que j’ai compris, un peu tard peut-être mais que j’ai compris : si tu n’as pas les pieds sur terre, tu ne peux pas t’adresser au ciel.

O.B : Peux-tu essayer de définir ou de qualifier en quelques mots le théâtre ?

T.P : C’est difficile à définir. « Le théâtre est un globe », c’est Shakespeare qui dit ça. Par exemple, ce que dit l’Epître aux jeunes acteurs sur la recherche de Dieu, pour moi, ce n’est pas le Dieu de l’Eglise, des mosquées ou des synagogues, pour moi c’est le Théâtre. Pour moi, le théâtre idéal, c’est la Vérité. Pas une vérité, mais la Vérité, les premiers mots qui ont été inventés et qui résonnent dans leur premier sens, et que tu entends. Et quand tu entends le mot, tu te dis que tu touches à son essence. Ma recherche de théâtre, c’est celle-là. Quand je dis « souffrance », je veux que ce soit le mot qui regroupe tout ce qui s’est passé, sans que la personne ait forcément la culture nécessaire, mais lui faire entendre ce que c’est que ce mot-là avec tout ce qu’il comporte. Pour moi, le théâtre est la recherche de l’absolu. C’est normal parfois d’être désespéré, d’avoir des périodes de doute, c’est un métier où l’on se remet souvent en question. Il faut apprendre à se mettre à la place de l’autre, à se questionner sur soi-même… Le théâtre est l’art qui peut changer le monde. Le théâtre, c’est l’Espérance. C’est Croire, fondamentalement et en vérité. Je crois au public, je crois au théâtre, et je crois que chaque soir, on peut se battre, toucher et convaincre des gens.

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