« Les Frères Karamazov », de Fédor Dostoïevski, mise en scène Frank Castorf, MC93, La Friche industrielle Babcock

Article de Pierre-Alexandre Culo

La folie destructrice des Frères Karamazov

Le Festival d’Automne ouvre cette nouvelle saison avec une démesure excitante. Au sein des vestiges industriels du site Babcock et Wilcox de la Courneuve, de ces lieux désaffectés où ces arbres bien vivants reprennent place, la Culture, finalement encore bien vivante elle aussi, redonne un souffle vibrant et inspirant à ce lieu en reconversion. Du béton et de l’acier retentissent les cris et les courses effrénées de la nouvelle création du metteur en scène allemand. Frank Castorf s’empare de ce lieu avec force, audace et démesure. De ce roman-fleuve émerge un spectacle monstre qui subit malheureusement les revers d’une telle ambition.

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© Thomas Aurin

Les Frères Karamazov est le dernier roman de Dostoïevski, œuvre centrale de la littérature russe et européenne, où derrière les affrontements des hommes Karamazov se confrontent avec fracas les idéologies du XIXe siècle. Entre mysticisme et libéralisme, libertinage et ferveurs religieuses, Dostoïevski peint une société en friction qui se perd dans sa recherche ou dans son refus de liberté. Une peur tangible de la responsabilité de l’Homme sur le monde. D’un Amour féroce et de la nécessité de 3000 roubles pour l’obtenir, va surgir le parricide et l’épopée de ces quatre frères Karamazov, déchirés par leurs convictions mais rassemblés par une forme fragile de fraternité. Du meurtre au procès, c’est une Russie lointaine et ultra-contemporaine que Frank Castorf déploie dans les ruines de la Friche Babcock. Entrecoupés d’extraits du roman Exodus de DJ Stalingrad, la trame déjà complexe de l’auteur russe se transforme en un dédale de lieux, personnages et références. Le fruit de ce montage dramaturgique permet un éclatement intéressant de la temporalité et de la portée de ce roman sur notre société, mais assombrit considérablement sa compréhension.

Volksbühne am Rosa-Luxemburg-Platz, Berlin Aufbau "Die Brüder Karamasow" nach Fjodor Dostojewski, Regie und Textadaption: Frank Castorf, Bühne und Kostüme: Bert Neumann, Wiener Premiere: 9.5..2015, Berliner Premiere: 6.11.2015, v.l.: Patrick Güldenberg (Michail Ossipowitsch Rakitin), Daniel Zillmann (Alexej Fjodorowitsch Karamasow), Lilith Stangenberg (Katerina Iwanowna Werchowzewa), Copyright (C) Thomas Aurin Gleditschstr. 45, D-10781 Berlin Tel.:+49 (0)30 2175 6205 Mobil.:+49 (0)170 2933679 Veröffentlichung nur gegen Honorar zzgl. 7% MWSt. und Belegexemplar Steuer Nr.: 11/18/213/52812, UID Nr.: DE 170 902 977 Commerzbank, BLZ: 810 80 000, Konto-Nr.: 316 030 000 SWIFT-BIC: DRES DE FF 810, IBAN: DE07 81080000 0316030000

© Thomas Aurin

L’espace de jeu de cette tragédie familiale est immense et s’épanouit dans une scénographie stupéfiante où se côtoient un lustre sur-dimensionné aux lignes design et cubique, un écran publicitaire géant « Koka-Kola », une cabane au milieu des eaux, et autres bâtiments dont les intérieurs nous apparaissent que partiellement. Cette débauche de moyen est à la mesure du pari dangereux du parti-pris engagé par Frank Castorf. Choisissant de filmer toutes les scènes par une équipe mobile, les acteurs jouent pour la caméra dans une mise en scène cinématographique proche de la série-télévisée. Le spectateur découvre les dizaines salles du décor, ou les toits de la Friche, que par le biais de l’écran où se projette ce film en création. La trop grande partie de ces Frères Karamazov se tournent en off, nous laissant face à un écran de cinéma où seuls les échos des cris nous parviennent. Le débordement du jeu des comédiens culmine à un point où s’alternent et se confondent le jeu vociférant d’un Théâtre de la Cruauté ou encore la bouffonnerie, le mélodrame et autres forment de styles disparates. Cette folie rentre en friction avec l’intimité de la caméra mais la chaleur du comédien manque. L’espace immense de la Friche reprend ses allures de lieu abandonné malgré l’incroyable dispositif scénique.

Frank Castorf développe une nouvelle appréhension du théâtre qui ne supporte pas la longueur. A roman démesuré, se déploie une mise en scène démesurée qui s’égare dans les affres de sa folie créatrice.

 

 

 

Les Frères Karamazov

Mise en scène Frank Castorf

Texte Fédor Dostoïevski

Avec Hendrik Arnst (Fiodor Pavlovitch Karamazov), Marc Hosemann (Dimitri Fiodorovitch Karamazov), Alexander Scheer (Ivan Fiodorovitch Karamazov), Daniel Zillmann (Alexeï Fiodorovitch Karamazov), Sophie Rois (Pavel Fiodorovitch Smerdiakov), Kathrin Angerer (Agrafena Alexandrovna Svetlova, Grouchenka), Lilith Stangenberg (Katerina Ivanovna Verchovzeva), Jeanne Balibar (Starez Ossipovna, Katerina Ossipovna Chochlakova et Le Diable), Patrick Güldenberg (Michail Ossipovitch Rakitine), Margarita Breitkreiz (Lisaveta Smerdiatchaya), Frank Büttner (Le Père Ferapont).

Scénographie, costumes Bert Neumann

Lumières Lothar Baumgarte

Vidéo Andreas Deinert, Jens Crull

Caméra Andreas Deinert, Mathias Klütz, Adrien Lamande

Montage Jens Crull

Musique Wolfgang Urzendowsky

Son Klaus Dobbrick, Tobias Gringel

Prise de son William Minke, Dario Brinkmann

Dramaturgie Sebastian Kaiser

 

 

Du 7 au 14 septembre 2016

 

MC93

Friche industrielle Babcock

80 rue Emile Zola

93210 La Courneuve

http://www.mc93.com/