« Je me mets au milieu mais laissez-moi dormir » d’après « La maman et la putain » de Jean Eustache, mise en scène de Dorian Rossel

Article de Jeanne de Bascher

Une tâche sur Eustache

Dorian Rossel transpose au théâtre « La maman et la putain », chef-d’œuvre de Jean Eustache et Grand Prix du Jury à Cannes en 1973. Un projet ambitieux mais néanmoins décevant.
« La maman et la putain », c’est un peu les trois mousquetaires : une bande d’acteurs et un réalisateur de génie, au service d’une grande cause qu’est le cinéma. Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafont et Françoise Lebrun incarnent en 1973 le trio amoureux écrit et réalisé par Jean Eustache. Alexandre (Jean-Pierre Léaud) vit avec Marie (Bernadette Lafon, la « maman) et sort avec Veronika (Françoise Lebrun, la « putain »). En bref, Veronika aime Alexandre qui aime Marie et ainsi de suite. Entre inversion et réciprocité, cette comédie dramatique post-soixante-huitarde met à l’épreuve le couple, qu’il soit libre ou bourgeois.

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© Nelly Rodriguez

Quarante ans plus tard, Dorian Rossel décide de l’adapter au théâtre sous le nom de « Je me mets au milieu mais laissez-moi dormir ». Il reprend en l’état ce triangle amoureux, maintes fois vu au théâtre et au cinéma – des Caprices de Marianne à Jules et Jim. Disons-le honnêtement, succéder à Jean-Pierre Léaud est une tâche ingrate. S’il n’est pas question de rivaliser (c’est d’ailleurs impossible), il faut de fait jouer un autre registre. Or, Léaud sait tout faire : Alexandre est à la fois drôle et désespérant, touchant et agaçant. David Bobet choisit d’être comique pour séduire la foule du Rond-Point. Pourquoi pas, mais pourquoi oublier de respirer entre deux phrases, pourquoi réciter son texte d’une traite, sans prendre le temps du silence, pourtant essentiel ? Grosse frayeur donc au démarrage en entendant les premières répliques, et puis c’est comme tout, on s’habitue.

je-me-mets-au-milieu-mais-laissez-moi-dormir_nelly_rodriguez_3© Nelly Rodriguez

La grande force de la pièce (l’unique ?) c’est bien sûr le texte. Les dialogues originels sont conservés, seul le format change (les 3h40 du film tiennent en 1h30 au théâtre). Drôles, impertinentes, loquaces et cyniques, les répliques sont une madeleine à savourer, dans le doux souvenir du film. Qu’est-ce qui a en fait un succès ? Outre la qualité du texte et du jeu, c’est la cristallisation d’une génération qui séduit et fait scandale à l’époque. Qu’apporte son adaptation théâtrale en 2015 ? Pas grand-chose, en tout cas rien sur un plan scénique minimaliste, pour ne pas dire inexistant, ni sur le jeu policé des acteurs.

 

Je me mets au milieu mais laissez-moi dormir
D’après « La maman et la putain » de Jean Eustache
Mise en scène de Dorian Rossel
Avec David Gobet, Dominique Gubser, Anne Steffens
Scénographie Compagnie STT
Lumière Niells Doucet
Costumes Karine Vintache

Du 5 Janvier au 31 Janvier 2016

Théâtre du Rond-Point
2 bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
http://www.theatredurondpoint.fr/