La disparition d’un grand homme de théâtre / Luc Bondy

Paris (AFP)

Le metteur en scène Luc Bondy, habitué des plus grandes scènes européennes et directeur d’un des plus prestigieux théâtres français, le Théâtre de l’Odéon, est décédé samedi à Paris à l’âge de 67 ans, après avoir été confronté toute sa vie à la maladie.
Luc Bondy était un pur produit de la Mitteleuropa dont il avait le raffinement et l’éclectisme. Né en 1948 à Zurich, fils d’intellectuels juifs d’origine allemande et austro-hongroise, élevé en Suisse et en France, il a débuté sa carrière en Allemagne, a dirigé la célèbre Schaubühne de Berlin et le Festival de Vienne pendant douze ans, avant de revenir à Paris il y a trois ans prendre la direction de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Ce petit homme au regard vif ne se promenait jamais sans un livre, en français ou plus souvent encore en allemand. Parfait bilingue, il avouait ne plus savoir dans quelle langue il rêvait.

luc_bondy© DR

En 45 ans, Luc Bondy aura mis en scène plus de 60 pièces et 16 opéras sur toutes les grandes scènes d’Europe, adaptant aussi bien Gombrowicz, Botho Strauss, Shakespeare, Schnitzler et Tchekhov que Molière, Marivaux dont il se disait « addict » et l’auteure contemporaine Yasmina Reza. L’ex-ministre Jack Lang évoque un « merveilleux directeur d’acteurs (…) riche d’une érudition rare. » « Je pensais Luc immortel », a confié à l’AFP le scénographe Richard Peduzzi, auteur des décors de son « Tartuffe » créé à Vienne et remonté à Paris l’an dernier. « Je l’ai toujours connu avec des ennuis de santé ».

A 25 ans, un premier cancer le frappe. Il en aura plusieurs. Les ennuis de santé ponctueront toute sa vie: en 2009, il dirigera depuis un lit sur scène des répétitions à l’Opéra de Paris. « J’ai toujours fait comme si de rien n’était, j’ai vécu, je me suis amusé », confiait-il. Il parcourt à ses débuts l’Allemagne en montant Genet, Ionesco, Goethe, Fassbinder lui confie « Liberté à Brême » (1972) et la renommée internationale arrive en 1973, avec « La mer » d’Edward Bond à Munich. De 1974 à 1976, il travaille à Francfort puis Peter Stein l’appelle à la Schaubühne. Il commence alors à conjuguer théâtre et opéra, avec « Lulu » de Berg (1977) à Hambourg.
Au total, il mettra en scène seize opéras, de Monteverdi à Benjamin Britten en passant par Verdi et surtout Mozart. Luc Bondy renoue avec la France en 1984 grâce à Patrice Chéreau qui dirige alors le Théâtre des Amandiers de Nanterre: il y monte « Terre étrangère » d’Arthur Schnitzler, dont il tirera en 1988 l’un de ses trois films. En 2000 à Vienne, il monte « Trois vies » de Yasmina Reza, auteure qu’il retrouvera régulièrement. Puis prend en 2001 la direction du prestigieux Festival de Vienne qu’il gardera douze ans. En 2012, il est nommé à la tête du Théâtre de l’Odéon, après une vive polémique liée à la non-reconduction de son prédécesseur Olivier Py, qui prendra dans la foulée la direction du Festival d’Avignon. Deux ans après sa nomination, il reconnaissait « prendre beaucoup de plaisir » à la direction de L’Odéon. Non content d’inviter les plus grands metteurs en scène européens (Ivo van Hove, Romeo Castellucci, Thomas Ostermeier, Peter Stein …), il fait entrer à l’Odéon la jeune génération française, Jean Bellorini, Julien Gosselin, Thomas Jolly. Ses propres mises en scène à l’Odéon sont des succès: « Les fausses confidences » avec Isabelle Huppert et Louis Garrel, « Tartuffe » avec Micha Lescot, également à l’affiche d' »Ivanov » avec Marina Hands. Luc Bondy, lui-même marié à la comédienne Marie-Louise Bischofberger et père de deux jumeaux, était très aimé des acteurs, qu’il accompagnait avec finesse et chaleur. Il avait réussi à constituer autour de lui une petite « famille » de comédiens fidèles. Comme Micha Lescot qui disait de lui: « quoi qu’il me propose, j’ai envie d’y aller ».