« LA FIANCÉE DU VENT  » Tableau en demi-teinte

Entre le sud de la France, l’Espagne et le Portugal, dans le tourbillon de la Seconde Guerre mondiale, La Fiancée du vent retrace l’histoire de Léonora Carrington, peintre et écrivaine anglaise, et de sa passion amoureuse avec le peintre allemand Max Ernst, dont la déportation au camp des Milles en 1940 fit sombrer la jeune femme dans la folie.

S’il est une chose que l’on retient du spectacle, c’est la poésie de l’écriture de Raphaël Toriel, qui dépeint avec beaucoup de finesse et de subtilité la relation intense des deux artistes contrariée par l’Histoire, et la puissance destructrice des sentiments qui conduisirent Léonora à l’hôpital psychiatrique. Il est dommage, cependant, que la communication autour du spectacle évoque un aspect documentaire qui, finalement, n’est que très peu exploité : l’Histoire n’existe qu’en toile de fond assez vague, comme un prétexte à l’écriture du récit, et l’art n’est qu’une facette intrinsèque de la personnalité des personnages. Cela ne manque nullement au spectacle – car, encore une fois, l’écriture est magnifique – mais laisse une sensation de décalage maladroit entre ce qui était annoncé et ce que l’on reçoit.

Côté interprétation, Julie Manautines et Rémi Pous mettent un peu de temps à trouver leurs marques ; il faut dire que la salle Studio du Théâtre de l’Epée de Bois est toute petite et ne pardonne pas. Elle appelle à un jeu mesuré, intimiste, en connivence avec les spectateurs, et fait ressortir toute exubérance comme une énorme disproportion. Cependant, passées les quelques premières minutes d’un jeu un peu surfait, les deux acteurs se révèlent bien plus convaincants et font preuve d’une complicité évidente. Julie Manautines, tout particulièrement, parvient à composer une Léonora puissante, avide de liberté mais finalement asservie par la passion dévorante qui la conduit à la folie. Ce dernier trait est admirablement interprété par l’actrice : ses tremblements, la compulsivité de ses gestes, jusqu’à la lumière au fond de son regard offrent des images saisissantes. On regrette un peu, cependant, que la scénographie n’exploite pas le décor naturel de ce théâtre tout en bois, qui aurait pu permettre de souligner davantage l’esthétique du spectacle, et notamment sa création lumière qui se trouve un peu « absorbée » par ce décor en boîte noire – mais bien sûr, il y a sans doute là de nombreuses contraintes techniques qui entrent en ligne de compte, et l’on devine l’aspect pratique de la chose.

Fiancée Juliette Nguyen 3
Fiancée Juliette Nguyen 4
Fiancée Juliette Nguyen

© Juliet Glimmer

En outre, les changements de décors, bien qu’ils soient peu nombreux (et finalement pas si considérables), prennent un temps qui paraît démesurément long au regard de la durée totale du spectacle. Certes, les tableaux ainsi créés sont beaux et portent des symboles évidents (on pense notamment au chevalet qui se change en oiseau), mais il est dommage de casser autant le rythme du récit pour cela, alors que la force du jeu des acteurs, la chorégraphie de leurs corps et la subtilité des lumières suffisent à captiver le spectateur et à créer des images. Julie Manautines et Rémi Pous sont bien assez puissants pour, à eux seuls, nous offrir le texte: on l’entend, on le reçoit, on l’éprouve, et finalement, c’est tout ce qui est vraiment nécessaire.

C’est donc une proposition assez belle, mais un peu maladroite que nous offre Sophie Belissent pour mettre en avant un texte contemporain très poétique qui mérite d’être découvert, porté par des acteurs forts dont le jeu s’affinera et s’épanouira davantage au fil des représentations. Le spectacle a encore besoin de temps pour mûrir, mais il a beaucoup à offrir !

Informations pratiques


Auteur(s)
Raphaël Toriel


Mise en scène
Sophie Belissent assistée de Pauline Boyer


Avec
Rémi Pous et Julie Manautines

Chorégraphie Elisabeth Bardin
Musique Arnaud Poinin
Scénographie Morgan Politano
Création Lumières et vidéo Mathieu Courtaillier
Création Sonore Clément Pradillon
Costumes Nathalie Alexiade


Dates
Du 20 mai au 1 er juin 2019
Du lundi au samedi à 20h30, samedi à 16h

Durée
1h25

Adresse
Théâtre de l’Épée de Bois
Route du Champ de Manœuvre
75012 Paris

Informations complémentaires
www.epeedebois.com
Compagnie Le Temps Présent
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