« La Nuit des Rois » de William Shakespeare, mise en scène Clément Poirée au Théâtre de la Tempête

Article d’Ondine Bérenger

Quand la musique nourrit l’amour

En Illyrie, le Duc d’Orsino languit d’amour pour la comtesse Olivia, qui, recluse dans le deuil, se refuse à l’aimer. Viola, rescapée d’un naufrage où elle pense avoir perdu son frère, se travestit et, sous le nom de Césario, rentre à la cour d’Orsino, dont elle s’éprend. Chargée de plaider la cause de son maître auprès d’Olivia, elle fait alors malencontreusement chavirer le cœur de cette dernière… Sur cette trame viennent alors se greffer d’autres intrigues, menant les personnages d’entourloupes en quiproquos, jusqu’aux révélations finales.

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© NDR

Décor de dortoir aux couleurs froides, où flottent de longs voiles blancs, comme bercés par un vent imaginaire sous de mornes rayons de lune. Le froid de l’hiver se ressent dans la scénographie, qui possède aussi quelque chose de marin, comme si elle était marquée par le naufrage du bateau de Viola et de son frère. Et pourtant, dans cette atmosphère lente et mélancolique accentuée par la musique du piano et les émouvants chants de Feste, le « fou » (Bruno Blairet) accompagné de son petit accordéon diatonique, l’on va voir se dérouler durant plus de deux heures une comédie rythmée et hilarante qui ne cessera de secouer le public. À la fois passé et intemporel, cohérent et comme anachronique, le décor crée un lieu unique et glacé, que seules les intrigues rendront finalement doux et chaleureux.

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© NDR

Car c’est bien le rire qui prime dans cette mise en scène de Clément Poirée, au risque parfois malheureux d’effacer les multiples variations de registre qui caractérisent l’œuvre de Shakespeare, et même, peut-être, de masquer un certain niveau du texte… Mais le comique utilisé est plus qu’efficace, et la composition très réussie des personnages rend cette nouvelle mise en scène particulièrement savoureuse. Eddie Chignara (Sir Toby) et Moustafa Benaïbout (Sir Andrew) forment un duo aussi attachant que drôle, contrastant avec le personnage du Duc d’Orsino (Matthieu Marie), mortellement idéaliste, éthéré, et sans doute ici le seul qui ne soit pas vraiment comique : son idéalisme le fait passer à côté de quelque chose, et cela, la mise en scène le montre parfaitement. Enfin, Claire Sermonne met en lumière les contradictions de la belle Olivia, aux côtés d’un Malvolio (Laurent Menoret) détonnant et hilarant dans la seconde moitié de la pièce. Quant à Morgane Nairaud, elle incarne à merveille Viola, touchante, attachante et charismatique.
Mais le véritable point fort de l’interprétation, qui donne tout son cachet à la mise en scène, reste incontestablement l’ambiance instaurée çà et là par la musique de Feste (Bruno Blairet), le corrupteur de mots, le Fou, l’inadapté, celui qui sort du cadre et qui pourtant porte par sa musique la vie… et l’amour.

La Nuit des Rois
de William Shakespeare
adaptation de Jude Lucas
mise en scène Clément Poirée
avec Moustafa Benaïbout, Camille Bernon, Bruno Blairet, Julien Campani, Eddie Chignara, Matthieu Marie, Laurent Menoret, Morgane Nairaud, Claire Sermonne

Du 14 janvier au 14 février

Théâtre de la Tempête
Cartoucherie de Vincennes
Route du Champ de Manœuvre
75001 Paris
http://www.la-tempete.fr