« Le coup droit lifté de Marcel » Proust mise en scène de Rodolphe Dana au Théâtre de la Bastille

Article de Jeanne de Bascher

Le lifting de trop

Du côté de chez Swann, premier tome d’A la Recherche du temps perdu, est adapté au théâtre de la Bastille par le collectif Les Possédés. Un spectacle minimaliste à l’interprétation statique, où la fougue et la virtuosité proustiennes ne sont pas prêtes d’être retrouvées.

proust_jean_louis_fernandez_3© Jean-Louis Fernandez

Adapter La Recherche au théâtre est un pari risqué et exigeant. Il faut à la fois satisfaire les passionnés et les néophytes, être innovant tout en restant fidèle et à la hauteur du texte. Certains, seuls en scène, y arrivent brillamment et en une heure (!), comme Véronique Aubouy au Musée Carnavalet l’année dernière ou Éric Chartier au Théâtre de l’Ile Saint-Louis dans son spectacle « A l’ombre de Combray ». S’il est impossible de résumer l’œuvre, la richesse des thèmes abordés (amour, imaginaire, fuite du temps, arts etc..) permet d’en extraire une thématique et de l’exploiter. C’est chose faite ici ; le collectif s’intéresse en effet à l’expérience de la mémoire, omniprésente dans l’œuvre. Le metteur en scène Rodolphe Dana explique avoir travaillé « la matière involontaire de la mémoire, celle qui fait que la sensation du souvenir nous tombe dessus, sans qu’on ait cherché à le provoquer ». On pense évidemment à l’épisode de la madeleine, mais également aux soirées du narrateur enfant passées à attendre le baiser de sa mère au coucher. Et puis, que serait un spectacle sur Proust sans prononcer la célèbre, l’iconique phrase d’ouverture « Longtemps, je me suis couché de bonne heure » ? En bonne intelligence, le collectif choisit ces passages en tant qu’expériences de mémoire, vue comme une « célébration des joies de l’esprit et des sens ». Un parti pris intéressant et de taille.

proust_jean_louis_fernandez_1© Jean-Louis Fernandez

Pour cela, trois comédiens récitent tour à tour un extrait de La Recherche. Debout, chacun dit son passage sous la lumière puis se tait en attendant l’autre. Le phrasé est parfois laborieux et l’intensité souvent absente. Saluons le jeu d’Antoine Kahan qui se démarque nettement et sauve l’ensemble. Avec lui, le récit devient enfin vivant et pointe l’humour et l’ironie contenus. On n’est pas surpris d’apprendre qu’il fut gymnaste, au vu de la souplesse et de la grâce des mouvements. Quant au décor, quel dommage ! Ne cherchez pas, il n’y en a pas. Pourtant, ce n’est pas la place qui manque sur la scène de la Bastille ! Ce manque pourrait être comblé si l’ardeur et la démesure étaient présentes dans le jeu d’acteur. On se demande alors l’intérêt même d’un spectacle qui n’offre rien de plus, si ce n’est moins, qu’un livre audio lu par de très bons conteurs, comme Michael Lonsdale, Guillaume Gallienne et Denis Podalydès l’ont déjà fait. Ce dernier précisait que pour lire Proust, il faut « du souffle, du temps, du rythme, de la réflexion, de la légèreté dans la profondeur, et inversement. » A méditer…

 

Le coup droit lifté de Marcel Proust
D’après le roman « Du côté de chez Swann » de Marcel Proust
Mise en scène de Rodolphe Dana
Collectif Les Possédés
Avec Katja Hunsinger, Antoine Kahan et Marie-Hélène Roig
Scénographie Katrijn Baeten et Saskia Louwaard

Du 6 au 19 février 2016

Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette 75011 Paris
www.theatre-bastille.com