« LE DOMINO NOIR »  La renaissance drôlatique et fantaisiste d’un succès oublié

Pour leurs premiers pas dans la création lyrique, Christian Hecq et Valérie Lesort nous font découvrir une œuvre méconnue qui occupe pourtant la neuvième place des titres les plus joués du répertoire de l’Opéra-Comique : le Domino Noir, un conte opératique à figure de Cendrillon vaudevillesque composé par Daniel-François-Esprit Auber, sur un livret d’Eugène Scribe – dont la plume avait clos la précédente saison de la salle Favart avec le Comte Ory.

Un soir de Noël dans l’Espagne des années 1830, Horace de Massarena retrouve dans un bal une jeune femme dont il s’était follement épris l’année précédente, mais dont il ignore tout. Il cherche alors à comprendre qui est cette belle et singulière inconnue cachée sous son costume noir (son domino), et qui n’hésite pas à changer maintes fois de costumes et d’identité pour demeurer secrète. S’enchaînent ainsi quiproquos, fausses pistes et retournements de situation à travers tout Madrid.

Les trois actes de l’oeuvre s’articulent en trois tableaux dont Laurent Pedduzzi a créés les imposants décors, totalement figuratifs mais qui renforcent cette atmosphère de conte de Noël. Ainsi, la première partie est un bal masqué dans des salons aristocratiques du XIXe siècle, où une ingénieuse horloge géante déréglée laisse apparaître par transparence une salle de danse achronique où se fréquentent d’étranges créatures (avec un délicieux clin d’oeil aux 20000 Lieues sous les mers que les deux metteurs en scène ont montées en 2015). Il y règne une agitation à la fois mondaine et fantastique lointaine qui contraste avec l’ambiance presque boudoir du salon de l’avant-scène où se font les rencontres amoureuses. Puis l’atmosphère se fait plus chaleureuse, dans la maison du comte Juliano où se révèle toute la grivoiserie comique de la pièce, tandis que les domestiques aux silhouettes volontairement caricaturales instaurent un registre plus familier dans des scènes rythmées à la Feydeau sur fond d’espagnolade. Enfin, le troisième acte se déroule dans le couvent gouverné par l’ambitieuse – et presque marâtre – Ursule, lieu à l’architecture massive mais pas davantage austère, où les gargouilles vivantes regardent d’un œil amusé les coups de théâtre qui se jouent.

Tout au long du spectacle, on retrouve l’humour léger de Christian Hecq à travers des détails qui donnent toute sa saveur à la représentation : du cochon qui se réveille sur son plateau d’argent aux nonnes à chaussettes rayées qui sonnent les cloches en fond de scène, des statues et gargouilles qui s’animent aux aristocrates qui dansent sur de l’opéra techno, l’atmosphère est toujours celle d’un conte à la fois drôle et poétique, foisonnant, inventif, fantaisiste, dont les images et les métamorphoses ravissent autant qu’elles dressent la satire des défauts humains. Il faut, à cet égard, saluer l’incroyable travail de Vanessa Sannino à la création des costumes, qui fait notamment du bal de la première partie un Carnaval des animaux où chaque personnage apparaît sous des traits animaliers qui le représentent, ainsi que le travail de Valérie Lesort et Carolle Allemand pour la réalisation des quelques grandes marionnettes qui semblent prendre vie sur le plateau, toujours de manière décalée et inattendue.

LE DOMINO NOIR -
LE DOMINO NOIR -

© Vincent Pontet

Dans cette fête colorée empreinte d’émotions toujours douces, il y a du Feydeau, du Perrault, du Andersen, tandis que l’opéra lui-même annonce les œuvres qui lui suivront au cours des XIXe et XXe siècles, comme Carmen ou l’Heure espagnole… Mais ici, point d’excès, le spectacle n’a pas vocation à déchaîner les passions, car l’histoire en est simple et sa structure autant que la manière dont elle est mise en scène évitent la grandiloquence et le sérieux de grandes tirades tragiques ou amoureuses. Le travail est d’une qualité indéniable mais sans prétention, car revendiquant pleinement le divertissement comme motif principal de l’oeuvre, sans chercher à faire ni psychologie ni philosophie. Il faut garder en tête, au moment de voir le spectacle, que le livret n’est pas vraiment riche et qu’on n’y trouvera pas de trait d’esprit exceptionnel…

La soprano Anne-Catherine Gillet occupe le centre du spectacle ; brillante dans le rôle d’Angèle de Olivarès – la mystérieuse inconnue –, elle semble prendre un malin plaisir à modifier sa voix et ses attitudes à chaque nouveau costume, créant ainsi un personnage très riche avec, toujours, une diction impeccable pour accompagner son timbre pur aux aigus rayonnants et sa grande agilité vocale. A ses côtés, Cyrille Dubois campe un Horace sympathique, dont le romantisme idéaliste se fait jour jusque dans la clarté légère et délicate de la voix du ténor, et exacerbe la drôlerie du spectacle. Antoinette Dennefeld (Brigitte) et François Rougier (comte Juliano) ont également une grande présence au plateau, ce qui contribue grandement au succès de la création : l’esprit de troupe se ressent, et chaque personnage est véritablement rendu unique par son interprétation, chacun a sa couleur propre. A ce titre, la mezzo-soprano Marie Lenormand (truculente et forte Jacinthe) et le comédien Laurent Montel (l’anglais Lord Elfort, porc-épic à l’accent très prononcé) sont particulièrement remarquables dans leurs rôles volontairement excessifs. Qu’il s’agisse des parties chantées ou parlées – ces dernières étant particulièrement nombreuses – les artistes nous entraînent avec enthousiasme, énergie, et plaisir dans cette histoire pourtant plutôt banale de prime abord, et la rendent simplement délicieuse.
Comme à leur habitude, le choeur Accentus et l’Orchestre Philharmonique de Radio France (dirigé par Patrick Darvin pour cette création) sont également très bien réglés. Malgré les arrangements faits par le directeur musical, certains passages musicaux restent malheureusement un peu trop répétitifs, mais l’ensemble demeure délectable de fluidité et de précision.

Encore un carton plein, donc, pour l’Opéra-Comique (décidément !), avec cette création bonne enfant, efficace dans le divertissement sans transiger sur la qualité musicale. Espérons qu’après cette première expérience réussie, Christian Hecq et Valérie Lesort reviendront parfois aux créations lyriques !

Informations pratiques

Auteur(s)
Daniel-François-Esprit Auber
sur un livret d’Eugène Scribe

Mise en scène
Christian Hecq et Valérie Lesort

Direction musicale Patrick Davin

Avec
Anne-Catherine Gillet, Cyrille Dubois, Antoinette Dennefeld, François Rougier, Marie Lenormand, Laurent Kubla, Sylvia Bergé, Laurent Montel, Valérie Rio, Olivier Déjean, Anne Beghelli, Sandrine Chapuis, Margaux Dufour, Mikaël Fau, Gaëtan Lhirondelle, Guillaume Rabain, le Choeur Accenus et l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Dates
Du 26 mars au 5 avril 2018

Durée
2h35 entracte compris

Adresse
Opéra Comique
1 place Boieldieu
75002 Paris


Informations et dates de tournée 

http://www.opera-comique.com