« LE SOURIRE AU PIED DE L’ÉCHELLE » Sous le nez rouge, devenir soi-même

Quelques morceaux de bords de piste, une minuscule chaise et une échelle brisée qui s’élève vers le ciel, c’est dans cette boîte noire au décor minimaliste que se tient le clown Auguste qui, errant entre des bouts d’espaces, les façonnant à sa manière, nous raconte son histoire et les hésitations de sa vie, la quête de sens de l’homme caché sous le maquillage au nez rouge.

Dans ce qui semble être les vestiges d’un cirque autrefois grandiose, ou bien les quelques souvenirs d’une rêverie solitaire, Auguste relate comment, las du succès et des rires du public devenus insuffisants, il a quitté son cirque pour tenter de partager sa joie autrement, en découvrant le monde et en se mettant au service des autres. Finalement, le hasard – ou le destin – le conduira de nouveau jusqu’à un cirque où il devra remplacer Antoine, le clown malade. Mais quel est ce désir qui le pousse à remonter sur scène après son abandon ? Quelle est cette sensation lorsqu’il se perd, se surprend à songer qu’il pourrait être Antoine, Auguste en Antoine, ou Antoine en Auguste ? Au fil de ses pérégrinations, trouvant son point culminant dans cet éternel retour à la passion première, Auguste s’interroge sur son identité de clown et d’homme, sur le sens à donner à une vie, sur la joie, le bonheur… Ses doutes existentiels se posent comme un miroir tendu à nous-mêmes, à notre humanité : le maquillage n’est pas aussi visible mais le rôle est le même, qui sommes-nous lorsque le masque tombe ? Que reste-t-il ? Que voulons-nous ? Faut-il tenter de gravir cette interminable échelle – image du succès – quitte à se laisser enivrer, ou bien vaut-il mieux se cramponner solidement à sa base pour rester fidèle à soi-même ?

Sourire Vincent Pontet

© Vincent Pontet

Seul en scène, Denis Lavant est un Auguste des plus émouvants, séduisant dans ses contradictions, subtil dans son caractère. Le visage marqué et pourtant l’air d’un enfant perdu, une voix douce et légère et cependant éraillée, usée, l’attitude déconfite qui jamais ne se départ d’une indicible grandeur en font un personnage mi-solaire, mi-lunaire, un Pierrot égaré entre ses deux étoiles. Sa joie se découvre sous le voile de la mélancolie, d’une manière que seuls les clowns maîtrisent. Comme l’écrit Henry Muller : « C’est un rire silencieux, sans gaité comme on dit. Le clown nous apprend à rire de nous-mêmes. Et ce rire-là est enfanté par les larmes ». On ne saurait mieux définir l’émotion étrange qui nous saisit face à cet univers de cirque délité, face à ce personnage de poète décalé, cet artiste qui se révèle sous une épaisse couche de fard blanc, à la lumière d’une poursuite qui ne le quitte pas. Pour ajouter à ce tableau, une musique pittoresque, un peu stridente parfois, née de ces quelques tous petits instruments au timbre bien particulier, que Denis Lavant manie à merveille. S’il faut un peu de temps pour rentrer dans le spectacle en raison du rythme du récit et de la structure même du seul en scène (qui est, disons-le, un exercice théâtral très particulier et pour le moins risqué), on se laisse vite porter par les tribulations de ce clown hors norme, mise en relief avec une grande simplicité qui sert la poésie. On en ressort avec un léger sourire, un peu mélancolique, comme celui d’Auguste, et une douce et sereine envie de vivre.

Informations pratiques

Auteur(s)
D’après l’oeuvre de Henry Miller, traduit par Georges Belmont

Adaptation, mise en scène
Adapté par Ivan Morane, mise en scène Bénédicte Nécaille

Avec
Denis Lavant

Dates
Du 27 mars au 14 avril

Durée
1h10

Adresse
Théâtre Le Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris

Informations complémentaires
Le Lucernaire