« LES ANALPHABÈTES » Magnifique banal

Lorsqu’il réalise « Scènes de la vie conjuguale » en 1973, Ingmar Bergman ne cherche surtout pas à verser dans l’autobiographie, mais s’attache plutôt à montrer sans jugement la vie d’un couple. On ne vous fera pas l’affront de vous résumer le film. C’est beau, c’est tout.

Ainsi, quand la compagnie « Le Balagan’ retrouvé » (dont c’est le deuxième spectacle, même si la taille des CVs de Lionel Gonzales et Gina Calinoiu laisse rêveur, bref), donc, quand cette compagnie décide de s’emparer de cette matière, la fouille, la réimprovise, on est forcément curieux. Qu’est-ce qu’on garde ? Est-ce que c’est jouable au théâtre ? Pas trop cinématographique ? Évidemment que non. « Les Analphabètes » est magnifique, tout simplement. La puissance dramatique provoquée par ce quotidien est tout bonnement renversante. Une engueulade, deux trois mots de travers, trois fois rien, quoi, et on se retrouve scotché à son siège, dents serrées, à guetter la moindre réaction des comédiens, un tic, un début de rupture.

Et c’est assez impressionnant comme la quotidienneté des situations amène une universalité lumineuse. On comprend tout. Toutes les réactions de ces deux personnages, ce couple paumé, un peu lâche, un peu trouillard, un peu masqué, on comprend tout, on souffre des non-dits avec eux, on s’énerve pour eux, c’est humain, on a une empathie folle, au fond.

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Dès le début, on est dans le bain. Le musicien Thibault Perriard, assis, nous regarde nous installer, nous salue, comme à la maison, bonne franquette, quoi. Musicien hyperactif, d’ailleurs, batteur, guitariste, chanteur, avec un piano renversé qu’il actionne par des cordes ici et là. Le couple de comédiens (Lionel Gonzalez et Gina Calinoiu, acteurs majuscules) nous attend au centre du plateau, déjà prêt à nous expliquer pourquoi leur couple fonctionne aussi bien. Trois personnes, donc, entourés de chaises en bois, une table et de quelques instruments. Pas besoin de plus.

La complicité épatante des comédiens joue énormément. Lui, neurochirurgien un peu salaud, assez mufle (et des qualités aussi, nombreuses) et elle, avocate spécialisée en divorce, toujours un peu effacée derrière cette grande gueule qui lui sert de mari. C’est fou le bien que ça fait de voir deux personnes se parler comme ça sur un plateau. La force du spectacle se résume à cette relation qu’ils bâtissent et réinventent sans cesse, toujours à chercher la matière qui va faire naître ce jeu de couple.

On en revient du coup à la question du début : est-ce que ça a un intérêt au théâtre, Bergman ? On laissera à Lionel et Gina le soin de répondre, ils savent de quoi ils parlent : « Bergman, ça joue, c’est même fou comme ça joue. »

Informations pratiques

Auteur(s)
Librement inspiré de « Scènes de la vie conjuguale » de Ingmar Bergman

Avec
Gina Calinoiu, Lionel Gonzales, Thibault Perriard

Dates
Du 8 au 24 février 2019
 

Durée
2h30 avec entracte
 

Adresse
Théâtre Gérard Philipe
59, boulevard Jules Guesde 93200 Saint-Denis
 

Informations complémentaires
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