« L’Interlope (cabaret) » Conception et mise en scène Serge Bagdassarian au Studio Comédie Française.

Article de Richard Magaldi-Trichet

Les travelotes ont piqué la perruque de Molière…

Voilà une dizaine d’année que la Comédie Française donne rendez-vous à son public sur la scène du Studio pour des spectacles de cabaret divers. Celui-ci est nommé « Interlope », pour reprendre le nom du bal masqué de l’entre-deux guerres qui se tenait au Magic City, haut lieu gay et lesbien situé près du pont de l’Alma, et notamment immortalisé par Brassaï. Mais Serge Bagdassarian a choisi également ce terme -« apparence louche et suspecte » entre autres- pour aborder le thème de cette subculture homosexuelle qui ne pouvait s’exprimer au grand jour et se retrouvait confinée dans le secret et la transgression.

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© Brigitte Enguerand

Nous nous retrouvons ici derrière le rideau,  dans la loge où trois hommes et une femme vont se livrer en chansons et chercher notre rire pour oublier les affres de leur quotidien. Cette loge où comme dans un cocon, la créature de la nuit va se transformer et faire apparaître ses ailes de plumes et sa robe à séquins. Car si dans les récits la larme est retenue au fond du rire, la dérision l’emporte toujours dans la lumière du projecteur. Mais attention, nous n’avons pas ici de vulgaires drag-queens galvaudées sur tous les coins de trottoirs, nos dames et notre monsieur meneur de revue sont des artistes, de vraies transformistes travelotes, aptes à vous égratigner bien plus fort avec leur verbe acéré qu’avec le talon aiguille de leurs escarpins. On y chante aussi Valéry, Shakespeare, Genêt…nous sommes au Français après tout, pas dans le premier bouge venu…Et si nos dames savent cabotiner en invectivant le public, elles (et il) savent aussi, et surtout, nous émouvoir…Serge Bagdassarian interprète « Je ne t’aime pas » sur la merveilleuse musique de Kurt Weill, et nous laisse entendre tout le contraire, voilà tout le talent des comédiens de la Maison. Véronique Vella est parfaite en « garçonne » et patronne de cabaret, et Benjamin Lavernhe et Michel Favory ne sont pas en reste parés des plumes du Moulin Rouge, un joli clin d’œil à cette autre institution du patrimoine de la nuit parisienne.

Quelle belle idée d’Eric Ruf, l’administrateur actuel de la Comédie Française, d’avoir passé cette commande d’un cabaret parlant de l’homosexualité ! Quel écho aujourd’hui dans la maison de Molière à toutes les chouineries des tristes réactionnaires et autres extrémistes religieux! Ce spectacle est hautement politique, n’en déplaise à toutes les Christine Boutin du monde –ne lui dites pas que je suis à l’Interlope elle croit que je suis à la Comédie Française- car en fin de compte de quoi parle-t-on ici, tout simplement ? D’un thème universel et intemporel : l’amour pour l’autre et la peur d’être rejeté. Le final du spectacle est donc merveilleusement trouvé avec la version collective de « Parlez-moi d’amour ». La meilleure réponse en chanson à toutes les attaques de haine. Welcome to the Cabaret (pour tous)…

 

 

L’Interlope ( cabaret)

conception et mise en scène Serge Bagdassarian

Avec Véronique Vella, Michel Favory, Serge Bagdassarian, Benjamin Lavernhe

au piano Benoit Urbain ou Thierry Boulanger, contrebasse : Olivier Moret

musiques originales, direction et arrangements musicaux : Benoit Urbain

scénographie et lumière : Eric Dumas

costumes Siegrid Petit-Imbert

maquillages et coiffures Véronique Soulier-Nguyen

 

 jusqu’au 30 octobre 2016

 

Studio Théâtre de la Comédie Française

Galerie du Carrousel du Louvre
Place de la Pyramide inversée 

99 rue de Rivoli

Paris 75001

www.comedie-francaise.fr