« MEMORIES OF SARAJEVO »  Sur les traces d’une terre slave démembrée 

Après un accueil triomphant au festival d’Avignon l’été dernier, le Birgit Ensemble refait surface en banlieue parisienne au théâtre des quartiers d’Ivry avec son spectacle Memories of Sarajevo, création de la tétralogie intitulée Europe, mon amour sur l’histoire européenne contemporaine et la transition avec le vingt-et-unième siècle. Les metteuses en scène Julie Bertin et Jade Herbulot scrutent à travers une loupe le siège de Sarajevo par les forces nationalistes serbes, qui est l’un des plus dévastateurs du siècle dernier. Après la déclaration d’indépendance de la Bosnie-Herzégovine, l’éclosion de la guerre civile est inévitable et s’étend de 1992 à 1995. A l’aube de la dissolution de l’ancienne Yougoslavie, l’émergence d’une Union Européenne avec des idéaux humanistes d’une « Europe des nations » contraste avec l’abattoir qui a lieu dans pays voisins. Malgré la résolution des dirigeants de l’U.E. d’agir ensemble face aux grands défis mondiaux, l’intervention militaire de la communauté internationale pour mettre fin au siège et à la guerre de Bosnie est tardive. Sarajevo devient le tombeau d’une recrudescence de nationalismes divergents. Loin de prétendre à la vérité historique, le duo de metteuses en scène met davantage l’accent sur le potentiel symbolique véhiculé par le conflit, n’hésitant pas à emprunter au répertoire mythique un regard distancié, comme celui de l’enlèvement d’Europe par Zeus. Oscillant entre images et enregistrements audio d’archives, chansons et projections, le discours se construit autour d’un matériau polymorphe.

Quoi de plus pertinent qu’une scénographie à deux étages pour placer l’action simultanément à Sarajevo où les comédiens se font témoins des habitants luttant pour survivre et dans les salles de réunion où se réunissent diplomates et chefs d’état pour la résolution du conflit. L’alternance systématique entre ces deux niveaux revêt toutefois un aspect répétitif et mécanique à la longue. Le décor démontable, perd des pans de murs au fur et à mesure du démembrement de cette mosaïque de peuples. Malgré la complexité de cette situation géopolitique où il n’y a pas de continuité entre territoire et nationalité, le côté ludique et pédagogique de la pièce permet une réelle immersion des spectateurs, tantôt mus en peuples qui composent l’ex-Yougoslavie ou en députés d’une assemblée parlementaire. Toutefois, la quantité de jargon diplomatique appelle à une attention et concentration accrue du public et peut parfois le perdre. Le très bon cru de quinze comédiens pétillants, aux voix singulières et au jeu irréprochable est une véritable bouffée d’air frais. La performance vocale de la comédienne qui interprète Nirvana et l’hymne populaire Sarajevo, mon amour est sidérante. Les scènes de foule, des manifestations à celles de boîte de nuit, sont également très réussies, avec une véritable cohésion pendant les chants locaux. En revanche, la scène où les comédien.ne.s tombent comme des mouches sous le joug de balles imaginaires, se relèvent, tombent à nouveau, et ce, indéfiniment, a la formalité d’un exercice de théâtre que son étirement dans le temps accentue.

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© Pascal Victor

Les douze dirigeants de la nouvelle U.E. qui ratifient le traité de Maastricht en chantant, le fantôme de François-Ferdinand qui vient les rejoindre, la délibération du conflit entre diplomates comme les différents épisodes d’un journal télévisé : cette relecture atypique de l’histoire ne manque pas d’humour. Le ton sarcastique du texte stigmatise avec justesse la discordance de la prise de décisions politiques par des diplomates loin de la réalité du combat ou encore la dissonance du discours médiatique occidental qui transforme ce quotidien de guerre civile en simple « crise humanitaire ». Par ailleurs, projection en direct des comédien.ne.s ne sert en rien la mise en scène si ce n’est qu’elle répond à l’injonction quasi-systémique d’introduire l’image vidéo sur la scène de théâtre contemporaine sans réelle motivation.

Un spectacle haut en couleurs, qui a le mérite de rendre sensible à une histoire qui n’appartient, sinon à notre passé personnel et culturel, à notre mémoire collective. Une invitation à repenser notre avenir à la lumière des événements passés, les conflits nationalistes et religieux enclavant les territoires sont, en effet, toujours d’une amère actualité.

 

Informations pratiques

Conception et Mise en scène
Julie Bertin, Jade Herbulot

Avec
Eléonore Arnaud, Antonin Bonnet-Fadinard, Lou Chauvain, Pauline Deshons, Pierre Duprat, Zoé Fauconnet, Anna Fournier, Kevin Garnichat, Elsa Guedj, Timothée Lepeltier, Antoine Louvard, Estelle Meyer, Morgane Nairaud, Loïc Riewer, Marie Sambourg

et en alternance Morgane Nairaud /Zoé Fauconnet

Dates
Du 9 au 19 novembre 2017

Durée
2h20

Adresse
Manufacture des Œillets
1 place Pierre Gosnat
94200 Ivry-sur-Seine


Informations et dates de tournée
http://www.theatre-quartiers-ivry.com