« Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni » de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, aux Ateliers Berthier

Article de Marianne Guernet-Mouton

Le Théâtre comme ultime lieu du désespoir

Inspirée par une image du roman Le Justicier d’Athènes de Pétros Markaris, « Nous partons pour ne plus vous donner de soucis » est une création de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini qui avait déjà été jouée la saison passée au Théâtre de la Colline, rejouée pour quelques dates avant que leur prochaine création, « Il cielo non è un fondale » ne soit prochainement présentée au Théâtre de l’Odéon (6ème). Ce spectacle traite de la crise que traverse la Grèce par le biais de quatre retraitées qui ont décidé de s’ôter la vie à cause de la situation économique, il est question de leur geste, de la posture à adopter face au monde pour dire non, et de ce que nous pouvons en apprendre.

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© Elisabeth Carecchio

Depuis le 20 mars 1985, l’une des retraitées dort seule, une autre regrette de ne jamais avoir eu de petit chien, il y a encore celle qui rêvait d’apprendre à danser les premiers pas de la Zirka, toutes se demandent comment trouver une solution, et ce qui les empêche d’aimer la vie. Ces quatre femmes s’étaient dit un jour qu’en vieillissant elles s’aideraient, elles vivraient ensemble : elles vont mourir ensemble. De la cigüe, comme pour Socrate ? Non, elles ont choisi la vodka et les somnifères, sans oublier leurs vitamines, geste bouleversant d’humanité pour quitter cette société qui les avait quittées avant elles. Ces derniers instants, et ce suicide collectif, c’est ce que tentent de jouer quatre comédiens, deux femmes et deux hommes ayant abandonné l’idée de leur ressembler physiquement. Dans un espace saturé de noir, ils prennent la parole chacun leur tour et s’asseyent autour d’une table sur laquelle on aperçoit quatre verres, une bouteille d’alcool, et les cartes d’identité des retraitées. Oscillant entre l’espace de jeu et l’espace réel de la salle de théâtre, les acteurs à la fois jouent et racontent leur personnage.

La seule réalité qui soit, c’est le fond irrésolu de ce geste, le fond plus noir que le noir, il s’agit de comprendre comment jouer ces retraitées, de comprendre si c’est nous qui disparaissons à un moment donné, ou si c’est la réalité qui nous efface. Ces questionnements jalonnent le spectacle qui nous fait presque penser à un tableau de Magritte qui se serait animé tant ce que les comédiens jouent, sans décor ou repère visuel, se heurte à ce qu’ils nous disent. Il y a cette tragique réalité de la Grèce que nous connaissons, de son taux à 65% de chômage chez les jeunes, de ses 10 000 suicides dus à la crise économique, de tous ces loyers impayés, de tout un pays qui semble s’éteindre, et ce discours sur le geste, l’acte de se donner la mort pour dire non. Comment sort-on d’une crise ? Daria Deflorian et Antonio Tagliarini cherchent alors à donner une temporalité à cette temporalité de la crise grâce à l’histoire de ces quatre retraitées qui dans une scène finale, disparaissent avec les objets qui ont marqué leur mort, tous recouverts de noir : le fond les efface avec pour dernier mot « Nous partons pour ne plus vous donner de soucis ».

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© Elisabeth Carecchio

Marqué par une forme de lenteur qui exacerbe la sensibilité des acteurs et qui permet de décomposer le geste et les pensées qui ont dû l’accompagner, cette création alerte et bouleverse d’humanité. On dépasse le sujet de la crise économique pour toucher au plus près les regrets et les instants qui font ou qui expliquent une existence. Il ne s’agit pas simplement pour les acteurs de jouer ces femmes, mais en nous privant de décor et nous inondant de mots, il s’agit d’entrer dans une dimension de l’irrésolu. Ce sont nos réalités, nos imaginaires qui se retrouvent projetés sur la toile de fond et deviennent le fondement de cette pièce où chacun se retrouve interpellé, et où l’on est soi-même à son tour mis en crise.

 

 

Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni

De Daria Deflorian et Antonio Tagliarini

Avec Anna Amadori, Daria Deflorian, Antonio Tagliarini et Valentino Villa

 

Du 29 novembre au 7 décembre 2016

 

Odéon Théâtre de l’Europe/Ateliers Berthier

1 Rue André Suares

75017 Paris

http://www.theatre-odeon.eu/fr/