« TOUS DES OISEAUX »  Renouer avec l’indémêlable, les racines de l’identité puisent-elles leur sève dans la mémoire ou dans le sang ? 

Polyptique familial en quatre volets, Tous des oiseaux, la dernière création de l’auteur et metteur en scène Wajdi Mouawad, est une pièce où le conflit intergénérationnel entre un père, David, et Eitan, son fils, reflète la déchirure entre les peuples allemands, juifs, et arabes. Eitan, jeune scientifique allemand d’origine israélienne, accompagné de sa copine Wahida, voyage sur les traces de sa grand-mère paternelle au Liban. Sa chute dans le coma suite à un attentat est l’occasion pour sa famille de lever le voile sur des questions identitaires où la vérité tue et où le sauvetage peut devenir plus meurtrier qu’un abandon. Quand David, défend une responsabilité du passé et le devoir d’endosser la culpabilité et la douleur du peuple juif, Eitan résume l’identité au patrimoine génétique, lequel est indifférent aux traumatismes. Une pièce plaidoyer pour démembrer l’identité de l’origine, en faveur d’une identité nomade et mouvante, ayant davantage propension à réunir qu’à diviser. Les comédiens, de langues maternelles différentes, développent un langage polyphonique en anglais, arabe, hébreu et allemand surtitré en français, où la fragmentation des langues met en relief les frontières qui séparent les peuples. L’empathie n’est pas seulement dirigée envers les personnages mais envers ce qu’ils évoquent en en notre for intérieur, les voix du passé, celles des peuples irréconciliables qui s’affrontent dans des luttes « fratricides ». Mais être membre de l’espèce humaine suffit-il pour tous se considérer comme frères ? Le sang ne distingue-t-il pas aussi l’allié de l’ennemi ? Faut-il se libérer du fardeau du passé pour se reconstruire ? Si l’identité entière ne se lit pas sur le caryotype humain, où réside-t-elle donc ?

La scénographie mouvante et modulable transporte le spectateur de New-York en Israël en passant par Berlin, dans un espace qui démultiplie les perspectives. Les chaises s’envolent, les murs se muent en tombeau, les tables de bibliothèques en billard d’opération. La sonorisation galopante d’un bord à l’autre du plateau – sans pitié pour nos tympans – martèle l’écho des bombardements. Le metteur en scène fait un usage parcimonieux des projections qui viennent accentuer le réalisme du décor ou l’en abstraire. Les quatre heures de représentation éprouvent à peine tant l’attention du spectateur est happée par le jeu poignant des comédiens et les scènes hyperréalistes comme celles des repas de famille. Le tissu narratif fourmille de bonds dans le temps, donnant à voir des scènes où passé et présent se confondent avec une indéniable prouesse dramaturgique. Dans la plume de Mouawad, la brutalité et l’humour s’entrelacent, et rire des camps est possible comme des dissensions religieuses viscérales entre juifs et musulmans. Le personnage de la grand-mère, Leah, interprétée par Leora Rivlin, est notre relai sur le plateau, tantôt au cœur et à l’écart du conflit, nous permet de le digérer avec ses apartés comiques. Il faut néanmoins reconnaître que le côté intellectualisé et abscons de la pseudo-allégorie du personnage historique d’Al-Wazzân peut mettre à distance. L’histoire de ce diplomate musulman converti de force au christianisme, qui traverse les siècles pour prendre la parole sur le plateau, est rapidement éludée et reste assez obscure. La poésie, tirée de la légende de l’oiseau amphibie, suffisait largement à rendre la sensibilité palpable. On regrette également la gratuité de la nudité dans une fouille au corps qui devient une scène de viol et on peut questionner l’utilité du personnage d’Eden – aussi bonne comédienne soit-elle – dans le conflit à part faire du remplissage.

Les noms d’ennemi, d’identité et d’origine infusent le flot de nos pensées après la représentation. Une belle incitation à reconstruire le pont éboulé entre les peuples.

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© Simon Gosselin

Informations pratiques

Auteur(s)
Wajdi Mouawad

Mise en scène
Wajdi Mouawad

Avec
Jalal Altawil, Jérémie Galiana, Victor de Oliveira, Leora Rivlin, Judith Rosmair, Darya Sheizaf, Rafael Tabor, Raphael Weinstock, Souheila Yacoub

Dates
Du 17 Novembre au 17 Décembre 2017

Durée
4h

Adresse
Théâtre de la Colline
15 rue Malte-Brun
75020 Paris


Informations et dates de tournée
http://www.colline.fr