« Ce qui nous regarde » Conception et mise en scène Myriam Marzouki, au Théâtre L’Échangeur.

Un article de Paula Gomes.

 

Un voile de sentiments

 

Des photos de famille projetées où les femmes apparaissent voilées, en coiffes ou couvertes de simples fichus. Cheveux dissimulés, une pratique individuelle, silencieuse, des gestes simples du quotidien de trois générations marquées par l’Histoire, les traditions ancestrales et religieuses ou les effets de mode. Qu’est ce que l’on voit et qui l’on voit ? Un prologue en voix-off de la franco-tunisienne Myriam Marzouki qui, à travers son histoire personnelle et celle de ses aïeules d’Ukraine, de Tunisie et vivant en France, traite un sujet d’actualité sensible et polémique, celui de la « femme voilée » et des regards et émotions que ses représentations suscitent : fascination, rejet, peur… Cette « féministe et athée » comme elle se revendique , éclaire le public sur les origines et l’essor du voile islamique, objet iconographique, social, de séduction pour certains ou signe de soumission pour d’autres. Parcours intime, mémoire collective, les femmes voilées ont aujourd’hui de multiples visages : politiciennes, intellectuelles, artistes ou mères de famille. Un spectacle brillant et riche dans ses propositions (chants, danses, récits, images d’archives), son esthétique et ses envolées lyriques.
© Vincent Arbelet
La metteure en scène ne vient pas alimenter les débats et les pensées simplistes mais propose avec objectivité et neutralité un arrêt sur images et de nouvelles perspectives en tension entre elles. Elle creuse en profondeur et questionne sur la visibilité du corps féminin au-delà de la religion, le lien entre visibilité et émancipation dans une société pleine de contradictions. Ce qu’on dérobe aux regards n’attise-t-il pas les regards ? Quel est le signe concret d’une liberté choisie ? La dramaturgie est placée sur le regard que l’on porte à la figure voilée. Elle est accentuée par les images chocs, l’angoisse ou l’exaltation des personnages. Myriam Marzouki joue aussi sur la perception et la mémoire visuelle du spectateur par une exposition « en vitrine », la femme voilée sous différentes formes est aussi exhibée et des tableaux vivants de peintres du 17ème siècle s’esquissent sous les déguisements. Les images sur écran alternent avec les saynètes inspirées du quotidien drôles, tendres ou provocantes.
Basé sur des textes pertinents, un théâtre documentaire et subjectif interprété avec justesse par les comédiens de la Compagnie du dernier soir. Ils incarnent la diversité des regards et expérimentent ensemble. Leurs corps exposés donnent sens aux propos dans leur fragilité ou leur détermination. Louise Belmas est éclatante : de jeune fille discrète convertie à l’Islam au désespoir de son père, sous les traits de Rodolphe Congé, elle se mue en femme-objet sexy dans un monologue redoutable sur les codes et injonctions faites aux femmes dans la société contemporaine. Le musicien Waël Koudaih accompagne l’ensemble et donne du rythme avec son live électronique. Un temps suspendu propice à la réflexion et à une libre pensée pour sortir des préjugés sur un thème qui ne laisse personne indifférent.
© Vincent Arbelet

 

Ce qui nous regarde
 

Conception et mise en scène Myriam Marzouki

D’après des extraits de texte de Alain Badiou, Patrick Boucheron,Virginie Despentes, Sébastien Lepotvin, Myriam Marzouki, Pier Paolo Pasolini, Mathieu Riboulet

Avec Louise Delmas, Rodolphe Congé, Johanna Korthals Altès, Waël Koudaih

Avec la participation de Rahama Aboussaber-Tebari , Sabrina Cabales, Hanane Karimi, Soreya Mammar

Montage et dramaturgie Myriam Marzouki et Sébastien Lepotvin

Musique Rayess Bek

Scénographie Bénédicte Jolys

Lumières Eric Soyer

Vidéo Julie Pareau

Costumes Laure Mahéo

Regard chorégraphique Magali Caillet-Gajan

Assistante mise en scène Isabelle Patain

 

Du mardi 24 janvier au jeudi 9 février 2017

 

Durée 1h30

 

Théâtre L’Echangeur
59, avenue du Général de Gaulle
93170 Bagnolet

http://www.lechangeur.org