« LE TIMBRE D’ARGENT » Redécouvrir Saint-Saëns dans un music-hall faustien

Cousin de Faust par son intrigue, et parent des Contes d’Hoffmann pour son étrangeté fantastique, Le Timbre d’argent – dont le livret a été signé par les mêmes auteurs – est le premier opéra de Camille Saint-Saëns. Crée pour la première fois en 1877, presque un an avant le célèbre Samson et Dalila, cette œuvre malchanceuse tomba vite dans l’oubli. Elle est à présent la troisième œuvre rare que l’Opéra-Comique fait redécouvrir au public pour cette nouvelle saison… plus d’un siècle après sa dernière représentation.

Conrad est un peintre viennois désargenté et malade. Lors d’un délire nocturne, un soir de Noël, son médecin lui apparaît sous les traits du Diable et lui offre une cloche en argent : à chaque coup frappé sur ce timbre, Conrad recevra les flots d’or qu’il convoite, mais un innocent mourra. Le jeune homme entreprend alors de conquérir la fatale danseuse Fiammetta, tentatrice diabolique…

Après un opéra circassien avec Alcione, c’est à présent l’atmosphère du cabaret, de la magie et du music-hall qui est convoquée dans cette nouvelle création. La scénographie plutôt sombre, usant habilement de rideaux et autres vitrines en hauteur pour modeler l’espace et suggérer les décors, nous plonge dans un univers trouble et inquiétant, un royaume de l’illusion où fantasme et réalité se confondent. D’où vient ce palais clinquant comme le Lido, qui surgit sur scène ? Qu’y a-t-il, dissimulé dans cette obscurité et derrière tant de paillettes ? On ne peut s’empêcher de songer, par moments, au Musée Grévin, sa Salle des colonnes et son Palais des Mirages, ou encore, pourquoi pas, à la fausse chaleur et à l’étrangeté du Musée des arts forains. L’utilisation de l’écran vidéo – hommage à la carrière de compositeur cinématographique de Saint-Saëns ? – en guise de décor principal renforce cette instabilité. A croire que rien n’est tout à fait immobile…
De tels choix scénographiques, s’ils respectent les nombreuses images de l’oeuvre, constituent néanmoins par leur esthétique une prise de risque qui fonctionne étonnamment bien, et que nous saluons avec grand plaisir. Cependant, l’on regrette un peu que le palais de l’acte II soit si excessivement tape-à-l’oeil, là où la scène du mariage dans l’acte III, par exemple, est tout aussi marquante dans un style moins criard. Evoquons enfin, en dernier lieu, les si belles images de l’acte IV : l’illusion de relief des projections utilisées feraient croire à un vrai lac sur scène…

LE TIMBRE D'ARGENT
LE TIMBRE D'ARGENT
LE TIMBRE D'ARGENT

© Pierre Grobois

Raphaëlle Delaunay est tout simplement éblouissante dans le rôle de la danseuse Fiammetta, personnage exceptionnel puisqu’il occupe une place centrale… sans dire un mot. Figure svelte et gracieuse, elle sait exprimer à la fois le charme innocent d’une poupée, le désir séducteur d’une femme fatale et la cruauté d’un démon. Ce rôle troublant à tout point de vue lui va à merveille. Sa danse est portée par la musique incroyablement évocatrice de Saint-Saëns, dont François-Xavier Roth sait mettre en relief chaque détail grâce à sa direction précise et sensible de l’Orchestre des Siècles. On est ému dès l’ouverture par cette richesse des timbres et les nuances que seules permet une mise en place irréprochable.

Côté chant, la seule déception sera malheureusement celle du rôle principal, Edgaras Montvidas, dont la voix puissante sacrifie trop souvent l’émotion à la force. Fort heureusement, il est accompagné par un médecin-Méphistophélès qui fascine : Tassis Christoyannis, aussi bon comédien que chanteur, sait être à la fois diabolique, séduisant, rusé, drôle, sournois, terrifiant… Chaque inflexion de sa voix porte une intention claire, un caractère inouï. Autour d’eux, Hélène Guilmette, Yu Shao et Jodie Devos réalisent également une belle performance, et possèdent chacun une présence remarquable sur scène. Enfin, le choeur Accentus s’illustre par sa justesse et son excellente mise en place. Guillaume Vincent, dans sa mise en scène, leur donne une place capitale en leur permettant de sortir du cadre, en les faisant chanter depuis l’extérieur de la corbeille ou au milieu du public. C’est un moyen efficace d’intégrer le spectateur à la représentation : l’oeuvre investit ainsi pleinement cet écrin sublime qu’est la salle Favart et, là où rêve et réalité sont mélangés, monde et théâtre, eux aussi, ne font plus qu’un.

Encore une belle réussite, donc, pour cette nouvelle saison de l’Opéra-Comique, dont il nous tarde de découvrir les prochaines productions.

Informations pratiques

Auteur(s)
Composé par Camille Saint-Saëns, sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré

Mise en scène
Guillaume Vincent, direction musicale François-Xavier Roth

Avec
Raphaëlle Delaunay, Edgaras Montvidas, Hélène Guilmette, Tassis Christoyannis, Yu Shao, Jodie Devos, Jean-Yves Ravoux, Matthieu Chapuis, Aina Alegre, Marvin Clech, Romual Kabore, Nina Santes, le choeur Accentus et l’Orchestre Les Siècles

Dates
Du 9 au 19 juin 2017

Durée
3h

Adresse
Opéra-Comique – Salle Favart
1 Place Boieldieu,
75011 Paris

http://www.opera-comique.com