« ZAUBERLAND (LE PAYS ENCHANTÉ)  » Opéra déraciné

Un piano en fond, deux pots de fleurs en avant-scène, à cour et jardin. Le pianiste Cédric Tiberghien (métronome précis et puissant) et la soprano Julia Bullock (d’une humanité et d’une sensibilité folle) entrent en scène, saluent, et se lancent dans les Dichterliebe de Schumann – seize livrets composés à partir des poèmes de Heinrich Heine, œuvre magnifique empreinte d’un romantisme onirique et européen. Un opéra d’une heure quinze, mêlant passé et présent, images d’une beauté glaçante, musique classique et contemporaine.

Car si les Dichterliebe occupent la première partie du spectacle, l’anglais vient vite remplacer l’allemand – Bernard Foncroulle ; compositeur, et Martin Crimp, écrivain, ayant créés 16 nouvelles compositions en regard à l’œuvre allemande. C’est l’histoire d’une femme enceinte, forcée d’abandonner Alep bombardée. Elle laissera son mari, sa famille derrière elle, et se retrouvera à Cologne, où elle deviendra chanteuse d’opéra. Mais les traumatismes vécus ne s’oublient pas si facilement. Les rêves de guerre, de frontières ne la quittent pas, et cette femme reste enfermée entre le passé et le présent. Son mari va mourir demain.

Katie Mitchell nous offre une scénographie épurée : les accessoires vont et viennent (lits, chaises, poupées en cages), mais ne restent jamais plus d’un ou deux livrets sur le plateau, l’attention étant focalisée sur Julia Bullock. Elle est accompagnée par quatre comédiens qui ne lui laissent pas un instant de répit, chargés comme ils sont de faire naître la psyché de cette femme sur scène. Ils jouent les différents protagonistes qui interviennent dans l’histoire : policiers, badauds, une matinée, l’enfant. On se réjouira de la grande synchronisation de leurs mouvements, renforçant l’étrangeté des situations. Mais Zauberland laisse surtout voir la cruauté d’un monde qui n’existe que dans la tête de ceux qui n’en font pas partie. Le Zauberland, particulièrement pour les femmes, ne leurs promet que violences, épreuves, traumatismes – l’indifférence des comédiens devant un viol sur scène en dit long…

Zauberland 2 Patrick Berger

© Patrick Berger

Zauberland est un opéra étrange, glaçant – d’une certaine redondance parfois dans les images – qui peut parfois nous perdre. Il n’en reste pas moins un très beau témoignage de notre époque.

Informations pratiques

Auteur(s)
Heinrich Heine et Martin Crimp
Musique Robert Schumann et Bernard Focroulle

Mise en scène
Katie Mitchell

Avec
Julia Bullock (soprano), Cédric Tiberghien (piano) et Ben Clifford, Natasha Kafka, David Rawlins, Raphael Zari

Dates
Du 4 au 13 avril 2019

Durée
1H15

Adresse
Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, boulevard de la Chapelle
75010 Paris

Informations et dates de tournée
www.bouffesdunord.com