Article de Marianne Guernet-Mouton
Naître ou ne pas être, du théâtre in-vitro
Jeune compagnie née en 2013, Le Cri du Lombric présente en ce moment à la Loge sa nouvelle création issue d’un important travail d’improvisation qui s’intitule « Ceux qui naissaient », mise en scène par Marianne Griffon et Camille Mouterde. À partir notamment d’extraits de la Théogonie d’Hésiode, les comédiens interrogent avec force et beaucoup de poésie ce que signifie encore le fait de naître aujourd’hui.
© Marianne Griffon
Dans un monde où l’on peut choisir son géniteur en banque de sperme, et faire un enfant sur commande en choisissant des options suivant un forfait et ses propres moyens comme l’on irait chez un concessionnaire acheter une voiture, qu’est encore que de venir au monde ? Dès le départ, la troupe a brillamment réussi à faire sortir le spectateur de sa zone de confort, à brouiller les limites avec le plateau circulaire couvert de tissus blancs, lieu aseptisé autour duquel on prend place, forcé à porter des sur-chaussures. Dans ce laboratoire où tout est blanc et propre, sont disposés sous des néons les comédiens, masses blanches indistinctes se contorsionnant avec beaucoup de maitrise, cellules au degré zéro de ce qu’être humain veut dire, prêts à être délivrés de leur condition par la « Grande pipette ». Si la situation est assez loufoque, irréelle et fait sourire par la teneur des discussions de ces êtres en devenir rêvant de régularité cellulaire et de rejoindre le monde extérieur, d’être « élus », le sujet reste traité avec beaucoup de gravité. Quels critères pour être élu et fécondé ? Des yeux, une peau et des cheveux clairs. À ce constat terrifiant s’ajoute un discours médical mené par une comédienne très convaincante, qui à la manière d’un chef de filiale pharmaceutique, prône ce type de naissance, vante un futur où l’on naitrait tous égaux, un monde meilleur où le physique n’entrerait plus en compte. Alors on se laisse persuader par ce si beau discours au revers terrible.
© Marianne Griffon
À vouloir libérer les enfants de l’aléatoire des tares au nom de « l’amour de soi », la science a aussi ses limites. Comme ce jeune homme sirène incarné par Pierre-Alexandre Culo, né les jambes collées, un « monstre » crierait notre société ? Un surhomme, dirait la mythologie. Extrêmement bien chorégraphié, le spectacle donne pourtant bien à voir des êtres vivants dans toute leur fragilité en ouvrant ainsi une réflexion sur ce que promet la médecine de demain. Grâce à une création sonore intelligente et un jeu de lumière sublimant ces corps, bousculant nos habitudes, on ressort secoué, nos idéaux dérangés. En somme, un vrai moment de théâtre dont on attend la suite et de suivre la croissance.
Ceux qui naissaient (Première partie)
Conception/Mise en scène, Marianne griffon et Camille Mouterde
Dramaturgie et Textes, Lucie Vérot
Avec des extraits de la Théogonie d’Hésiode, traduction Annie Bonnafé
Interprétation, Pierre-Alexandre Culo, Thibault David, Irène Le Goué, Camille Mouterde
Création sonore, Iván Adriano Zetina Rios
Création lumières, Aleth Depeyre
Création costumes, Caroline Laroche
Scénographie, Shehrazad Dermé
Du 19 au 22 avril
La Loge
77, rue de Charonne
75011 Paris