« MUSIC-HALL » ou le récit d’une désillusion

Le « Music-hall », c’est à la fois un lieu et une forme de théâtre. C’est un établissement qui présente des spectacles de variétés (tours de chant, danses, revues à grand spectacle, numéros de cirque, attractions diverses). Et c’est aussi un genre de spectacles présentés dans ce lieu. Ici, dès le seuil de la pièce, le dramaturge Jean-Luc Lagarce nous dévoile une sorte de fausseté, de tromperie : « Il y a toujours un lieu comme ça, dans ce genre de ville, qui croit pouvoir servir de music-hall. » Tout l’enjeu dramatique de la pièce repose sur ce verbe « croire ».

Présentée par la Comédie-Française en 2021, Music-hall est considérée comme la pièce la plus mystérieuse de Jean-Luc Lagarce. L’auteur, entré au répertoire de la Comédie-Française en 2008 avec Juste la fin du monde, compose ici « un monologue à trois voix » pour la Fille, chanteuse à la jeunesse lointaine, et ses deux Boys, fidèles compagnons d’itinérance.

On retrouve dès la première page l’écriture très particulière de Jean-Luc Lagarce. Un texte fragmenté, de multiples retours à la ligne, des phrases longues, très longues : une écriture performative qui transcrit l’intimité de ses personnages. Il y a dans leurs répliques un besoin viscéral d’être précis, compris ; la plume du dramaturge le traduit par une autocorrection constante, une rétraction de ce que l’on vient de dire, à dessein, pour y substituer quelque chose de plus fort, de plus tranchant ou de plus convenable. Arriver au bout de leur pensée qu’ils souhaitent parfaite, exacte, pure, est une véritable épreuve pour les personnages. Les tirades leur confient alors un espace de confession.

Dans Music-hall, la forme du texte, son intonation supposée et ses figures de répétition sont d’autant plus marquantes qu’elles s’alignent sur son titre et son personnage. En effet, « La Fille » est une artiste qui effectue pour les lecteurices une performance seule en scène, entourée de ses deux « Boys ». Le texte est une retranscription de son spectacle, son « numéro » comme elle l’appelle. Il s’agit d’une mise en abyme littéraire, renforcée par un dédoublement dans la narration, « La Fille » s’exprimant tour à tour en tant que « je » artiste, et en tant que « elle » personnage. Son caractère se dessine grâce aux mots du dramaturge, qui lui prête des expressions, des mimiques de langages, une manière bien à elle de s’exprimer, tout en restant dans la continuité des autres personnages de Jean-Luc Lagarce.

Entre l’écriture de l’intime et un personnage qui joue un personnage, se révèle petit à petit le drame de la pièce. Cette progression se fait avec beaucoup d’habileté dans le choix des mots et de l’enchaînement des scènes. L’émotion, l’intimité et la vérité des trois personnages se découvrent d’abord dans ce qui leur est concret, matériel : le « tabouret », le déroulé technique du numéro, comment on entre, comment on se place, qui chante, etc… Puis, délicatement, comme le veulent les confessions, par le biais de leurs tracas matériels, ces personnages sans nom dévoilent des problématiques plus relationnelles et intérieures. Les lecteurices entrevoient alors la solitude du personnage, la thématique de l’abandon, une nostalgie qui se confronte à l’espoir, la fatalité, l’amour.

Le dramaturge – qui n’est jamais loin (« je crois » dit-il dans ses didascalies) – dresse un portrait de femme et d’artiste. Une femme dans un monde d’hommes qui se bat pour continuer de faire exister un divertissement en pleine désillusion. Quitte à « faire mine de », à « faire semblant », à « tricher », elle entrera sur scène, qu’elle que soit la porte, et tant pis pour les « goguenards ».

La pièce Music-hall a été créée à Besançon en 1989 et sera en tournée dans une mise en scène de Magalie Claustres du 27 décembre 2023 au 1er janvier 2024 au Théâtre du Nord-Ouest à Paris. Puis dans une mise en scène de Marcial Di Fonzo Bo le 23 mars 2024 au Théâtre de Chelles.

Informations pratiques

Auteur(s)
Jean-Luc Lagarce

Prix
12 euros

Éditions Les Solitaires Intempestifs
www.solitairesintempestifs.com