« ANÉANTIS », une approche suggestive de l’enfer imaginé par Sarah Kane

Christian Gonon et Elise Lhomeau dans Anéantis, mise en scène Simon Delétang
© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Simon Delétang met en scène à la Comédie-Française « Anéantis », la pièce la plus célèbre de l’auteure britannique suicidée à vingt-huit ans. Un défi audacieux, tant la pièce, qui avait provoqué le scandale lors de sa création, pose la question du représentable en proposant de « descendre en enfer par l’imagination pour éviter d’y aller dans la réalité ».

Dans une chambre d’hôtel dont le petit Studio-Théâtre suggère idéalement l’intimité, des actes barbares et violents se succèdent sur un fond de guerre. Guerre qui évoquait pour l’auteure le conflit en Bosnie-Herzégovine, rendue de plus en plus présente à la scène à mesure que le drame avance par un remarquable travail lumineux et sonore. Entre les murs progressivement défigurés, deux relations de domination se superposent en miroir. Entre un homme (interprété par Cristian Gonon), journaliste de faits divers et tueur à gages, raciste, paranoïaque, et une femme (interprétée par Élise Lhomeau) venue dans la chambre par pitié pour l’homme qu’elle pensait malheureux. Puis entre le même homme et un soldat (interprété par Loïc Corbery), personnage-type incarnant à lui seul la guerre. Le miroir entre les deux relations trace un chemin de la violence intime à la barbarie généralisée. Bien que le metteur en scène ait découpé le drame en trois parties par des changements de décor, ce chemin n’est pas une succession mais un crescendo continu et parfaitement maîtrisé. Ainsi, le désastre dans lequel sont plongés progressivement les corps semble contenu et annoncé dès les premières minutes de violence et de tension, comme le suppose la fresque pompéienne du fond de chambre qui semble faire écho à la chute d’une civilisation rattrapée par une violence qu’elle aura elle-même enfantée.

Si la pièce pose la question du représentable en invitant à porter un bon nombre d’atrocités sur la scène, comme réponse théâtrale à l’atrocité réelle, Simon Delétang choisit le refus de l’exhibition par une mise en scène distanciée. Toutes les didascalies qui décrivent des scènes de violence sont dites en voix off sur un ton objectif pendant que les personnages se tiennent presque immobiles dans des positions suggestives. Si cette proposition a le mérite de mettre en valeur le texte et de laisser l’imagination du spectateur créer d’elle-même l’horreur, elle délègue aussi toute responsabilité à ce même texte et manque, peut-être, la volonté de l’auteure de créer des « images scéniques » fortes et assumées, volonté qui lui avait valu l’opprobre lors de ses premières. La mise en scène est convaincante, l’interprétation des acteurs parfaitement juste, mais c’est finalement un peu édulcorée que Sarah Kane entre dans cette grande maison des auteurs.

Christian Gonon et Elise Lhomeau dans Anéantis © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française (3)
Loïc Corbery et Christian Gonon dans Anéantis © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Christian Gonon et Elise Lhomeau /Loïc Corbery et Christian Gonon dans Anéantis, mise en scène Simon Delétang
© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Informations pratiques

Texte
Sarah Kane
Traduction Lucien Marcha

Mise en scène et scénographie
Simon Delétang

Avec
Christian Gonon, Élise Lhomeau, Loïc Corbery
Lumière Mathilde Chamoux
Costumes et assistanat à la scénographie Aliénor Durand
Musiques originales et son Nicolas Lespagnol-Rizzi
Voix off Sylvia Bergé

Dates
Du 10 novembre au 5 décembre 2021 au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Paris

Durée
1h10

Adresse
Studio-Théâtre de la Comédie-Française
Carrousel Du Louvre
99 Rue de Rivoli
Place de la Pyramide Inversée
75001 Paris

Informations pratiques

Anéantis au Studio-Théâtre de Comédie Française
www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/aneantis