« Antoine et Cléopâtre » texte et mise en scène Tiago Rodrigues avec des citations de William Shakespeare, au Théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d’automne

Article de Marianne Guernet-Mouton

Intime tragédie en apesanteur

Cet Antoine et Cléopâtre proposé par Tiago Rodrigues au Théâtre de la Bastille dans le cadre du Festival d’Automne n’est pas la pièce que Shakespeare aurait écrite en 1606, mais une version en Français de l’ Antoine et Cléopâtre proposée par le metteur en scène portugais en 2015 au Festival d’Avignon. Rien ne semble avoir changé sinon la langue, tout a pourtant changé. De fait, tout le spectacle repose sur les mots, une joute verbale finement poétique entre deux comédiens et danseurs seuls en scène pour un moment de magie délicieusement envoûtant.

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© Magda Bizarro

L’histoire de ce couple d’amants célèbres qui a coûté Rome à Antoine et la vie au duo ressuscite entre les mains de Sofia Dias et Vitor Roriz qui sont les porte-paroles des personnages anciens devenus mythiques. Se jouant de la réalité historique et de toute unité de temps et de lieu, la comédienne anime d’abord tel un pantin invisible son Antoine, et son partenaire de jeu anime Cléopâtre. En tenue ordinaire, leurs mains sculptent l’espace et le temps d’un amour perdu mais jamais oublié. Crescendo, leurs ombres se mêlent, les amants se rejoignent et un glissement progressif a lieu, Sofia Dias devient Cléopâtre tandis que Vitor Roris devient Antoine. Sous nos yeux ébahis la magie opère, le temps semble s’allonger et leur jeu laisse une grande part au silence. Ils évoluent subtilement autour d’un mobile qui rappelle ceux de Calder, ce qui vient accentuer l’effet de pesanteur et de lenteur des gestes lascifs magnifiés par la lumière et les ombres. De Rome à Alexandrie, de l’Occident à l’Orient en passant par un combat naval en méditerranée, Antoine et Cléopâtre se rencontrent et se demandent s’ils ont le même avenir trempé de sang. Les mots des comédiens marqués par un bel accent portugais chantant semblent performatifs tant ils suffisent à nous faire changer de lieu et d’instant. Alors que pour l’un l’Egypte est une prison et pour l’autre seule l’Egypte lui permet d’exister, tout dans les dialogues et les gestes a été pensé sur fond d’une dichotomie insurmontable. Comme l’avance Cléopâtre, il faudrait un nouveau ciel pour espérer tromper le futur, c’est précisément ce que la scénographe Angela Rocha a proposé en faisant évoluer les personnages sur un ciel déroulant, long tissu tendu depuis le fond de scène.

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© Magda Bizarro

Jusqu’à leur dernier souffle commun les amants épuisent et murmurent le langage par des rimes et des glissements incessants d’un mot à l’autre. Certaines situations ou échanges en deviennent cocasses, rarement le français n’a semblé si beau et si souple à l’écoute. Entre les mains et les bouches de Sofia Dias et Vitor Roriz dirigés par Tiago Rodrigues, Antoine et Cléopâtre revivent le temps d’un spectacle d’une précieuse brièveté. À nouveau ils inspirent et expirent, sous nos yeux ils s’aiment et leurs ombres dansent et s’entrelacent comme si les mots de leur histoire s’envolaient vers les cieux, leur éternité, avec cet espoir renouvelé de tromper les nuages annonciateurs de mauvais temps.

 

 

Antoine et Cléopâtre

Texte et mise en scène de Tiago Rodrigues

Avec des citations d’Antoine et Cléopâtre de William Shakespeare

Avec Sofia Dias et Vítor Roriz

Scénographie Angela Rocha

 

Du 14 septembre au 3 octobre 2016

 

Théâtre de la Bastille

76, rue de la Roquette

75011 Paris

www.theatre-bastille.com