« Cioran/entretien » mise en scène d’Antoine Caubet au Théâtre de l’Atalante

Article de Jeanne de Bascher

Précis de composition

Antoine Caubet met en scène un entretien entre Cioran et Leo Gillet datant de 1981. Un spectacle étonnamment drôle qui revient sur la singulière pensée du plus français des écrivains roumains.

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Certains auteurs ont des livres aux titres reconnaissables entre mille. Sur les cimes du désespoir (1934), Précis de décomposition (1949), De l’inconvénient d’être né (1973), Ebauches de vertige (1979)… vous connaissez ? Emil Cioran bien sûr ! Une noirceur qui en devient presque comique. Cette brèche entre humour et désespoir, c’est le ton qu’adopte la pièce ce soir. Elle met en scène un Cioran gai et cynique qui dialogue avec une serveuse au café et revient sur sa-vie-son-œuvre. Ses propos sont durs et très sombres, étincelants de vérité et insoutenables de lucidité. Des phrases comme « la vie n’a pas de sens », « il vaudrait mieux se jeter par terre et pleurer » font écho dans la salle. Et surprise, on rit, on rit fort et souvent. Paradoxe ? Incompréhension ? Au contraire, le génie du penseur est compris ! Ces célèbres aphorismes percutent autant par leur intelligence que leur ironie. Cioran est un savant mélange des deux. Un scepticisme outrancier mais digeste grâce à l’incompressible humour qu’il contient. Les rires dans la salle explosent, les comédiens en jouent et regardent les spectateurs.

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Il y a du mordant mais aussi de la grâce. Cécile Cholet est celle qui donne la réplique à Cioran. Elle parle peu (mais bien), c’est sa gestuelle qui compte. Douce, lente, languissante, elle berce le spectateur en croisant ses jambes, en dévoilant sa nuque. L’espace-temps est comme arrêté, tandis que Cioran (interprété par Christian Jéhanin, parfait) parle de ce temps que nous sommes, de l’ennui parfois divin, du néant, et bien sûr, du suicide. Une attention particulière est faite à son éveil permanent – lui qui était insomniaque – et son refus du système. Même peu connu, méprisé, seul et fauché, Cioran continue d’écrire. « Bon qu’à ça » comme disait Beckett.

Un spectacle qui retranscrit la pensée de l’auteur sans intellectualisme déplacé. C’est fin, léger, et drôle. Incroyable mais vrai, c’est du Cioran !

 

 

« Cioran/entretien »

D’après « Entretien avec Leo Gillet » in « Cioran, Entretiens » Gallimard 1985

Mise en scène d’Antoine Caubet

Avec Cécile Cholet, Christian Jéhanin

 

Du 1er au 18 avril 2016

 

Théâtre de L’Atalante

10 place Charles Dullin

75018 Paris

http://www.theatre-latalante.com/