[Coup d’oeil sur le OFF n°1] « Cyrano de Bergerac au Festival d’Avignon »

Comme chaque année, dans le OFF, certains grands textes du répertoire sont particulièrement mis à l’honneur, à travers de nombreuses mises en scène et autres variations contemporaines. Pour cette édition 2019, ce ne sont pas moins de quatre Cyrano de Bergerac, aux partis pris très différents, qui sont représentés quotidiennement dans les théâtres du centre-ville. Nous les avons vus : retours sur les ambitions et les impressions laissées par ces appropriations de l’oeuvre de Rostand.

Cyrano, de la Cie Miranda, mise en scène Thierry Surace au Théâtre du Balcon : Hommage à Méliès et au cinéma muet des années 20, cette mise en scène nous transporte dans un univers coloré et poétique, où décors et personnages virevoltent au gré des vers. Nous sommes sur un plateau de tournage, dans un espace en constante mutation, joyeux et énergique – un parti pris intéressant, qui aurait toutefois mérité d’être davantage affirmé à travers une utilisation plus radicale de l’espace scénique. Mais ce qui se fait jour ici, avant tout, c’est l’esthétique littéraire, car la lecture du texte est d’une extrême finesse. Au-delà de leur diction impeccable des vers, les acteurs en font ressortir toute la précision, la subtilité, les éclats de génie… L’intelligence au service du texte, toujours. On entend, on comprend, se délecte des jeux de mots et trouvailles scéniques qui les accompagnent. C’est drôle, frais, et véritablement tout public : cette version en 1h35 saura, par son rythme effréné, captiver les plus jeunes et leur offrir une belle entrée dans la langue de Rostand, tandis que les moins jeunes se délecteront de voir Cyrano, ce tendre « voyageur aérien » dans le monde magique de Méliès. D’ailleurs, ce Cyrano-là, incarné par Thierry Surace, est sublime de charisme et de panache comme on en voit peu… De cette version, on regrettera cependant le traitement de Roxane, un peu trop cruchotte en lieu de précieuse – bien qu’elle reste au demeurant très attachante. Une belle interprétation, pleine de poésie et de délicatesse, qui offre la lecture la plus fine et littéraire du texte.

Cyrano1 (c) Johanna Astier
Cyrano4 (c) Johanna Astier
Cyrano3 (c) Johanna Astier
Cyrano2 (c) Johanna Astier

Cyrano de la Cie Miranda au Théâtre du Balcon © Johanna Astier

Cyrano(s), par les Moutons Noirs au Théâtre du Roi René : Comme à leur habitude, les Moutons Noirs, dans cette nouvelle création, s’approprient un texte dramatique pour en offrir une lecture très personnelle, décalée et recentrée autour d’un thème précis. Ici, leur leitmotiv : « nous sommes tous Cyrano » ! Si le constat paraît plutôt simple, le traitement qui en est fait dans le spectacle est, lui, extrêmement émouvant : jouant tour à tour Cyrano, les acteurs, entre deux actes, se mettent à nu et expriment au public, en quelques mots ou quelques gestes, leurs propres complexes et incertitudes. Ces instants brefs – presque trop, car le plaisir qu’ils nous procurent nous donnerait envie de les prolonger davantage – sont de purs instants de grâce d’une force profonde. Ce que les vers perdent de précision esthétique dans leur diction, ils le gagnent en intimité, en immédiateté. Si l’on va voir les Moutons Noirs, ce n’est pas tant pour la littérature que pour le goût de la mise en danger des artistes, une vision de notre propre humanité, sur le fil… Pas de costumes, peu de scénographie, tout est dans la voix des acteurs, leurs expressions, leurs gestes. Dans ce théâtre, il n’y a véritablement que Cyrano – autrement dit, que nous, face à nos peurs – et une exhortation brûlante, bouleversante, à se battre pour s’aimer quand même. Car, si Cyrano s’était fait refaire le nez pour effacer son complexe, il n’y aurait pas eu d’histoire, n’est-ce pas ?

CYRANO(S)

Cyrano(s), par les Moutons Noirs au Théâtre du Roi René

Cyrano de Bergerac, mise en scène Gaspard Baumhauer, à l’Espace Roseau Teinturiers. Qui serait Cyrano, ce « rimeur, bretteur et musicien », aujourd’hui ? Pour cette troupe de 18 (!) artistes âgés de 20 à 25 ans, la réponse est la suivante : un rappeur ! Tout en respectant le texte de Rostand (qui plus est, dans une adaptation de près de deux heures, soit la plus longue de ce festival), la mise en scène recontextualise l’oeuvre dans nos milieux urbains actuels. Personnages en survêtements et scénographie à base d’échafaudage, ce parti pris surprenant – qui risque de choquer les spectateurs les plus puristes – se révèle étonnamment efficace… Oui, Cyrano est à sa place dans ce milieu, et pas une minute il ne semble ridicule ou décalé, bien au contraire ! Les acteurs se sont vraiment approprié le texte, de telle sorte que tout semble fluide, naturel, presque évident. Par leur aisance extrême, ils entraînent le public dans leur univers, jouent avec lui, l’immergent dans la représentation avec une énergie explosive. Le texte, dans ce tourbillon, a perdu un peu de ses nuances, mais il peut encore les retrouver au fil des représentations, à mesure que le spectacle gagnera en précision et se défera de quelques maladresses. Avec son flow entraînant qui nous le rend si simple à appréhender, ce Cyrano met en évidence l’incessante modernité du texte. Il fait mieux que « dépoussiérer » la poésie : il nous montre qu’elle ne peut pas prendre la poussière.

Cyrano de Bergerac

< Cyrano de Bergerac) du Collectif Chapitre Treize, à l’Espace Roseau Teinturiers

Cyrano de Bergerac, par Les Évadés au Théâtre de l’Adresse. Au milieu de la piste d’un cirque, une figure figée soudain s’éveille : c’est Cyrano, clown usé, non pas ce fameux combattant plein de panache, mais plutôt ce personnage dont la vie « Ce fut d’être celui qui souffle – et qu’on oublie »… un peu comme le vrai Hercule Savinien de Cyrano de Bergerac finalement, dont l’existence a été presque effacée tant le personnage de Rostand a digéré la réalité. C’est donc en hommage au vrai Cyrano que la compagnie introduit ici quelques-uns de ses vers au milieu de l’histoire romancée. Le tissage est habile, et l’idée très intéressante, mais on regrette, là encore, que le parti pris ne soit pas plus directement affirmé, car ce ressort reste finalement assez marginal et pourra aisément passer inaperçu de qui ne connaît pas très bien l’oeuvre de Rostand. Côté mise en scène, la lecture du texte ne semble pas être particulièrement passée par le prisme de l’esthétique circassienne, interrogeant donc sur ce choix. Les coupes ont permis d’évacuer certains personnages importants pour recentrer le propos sur la figure mythique qu’est Cyrano, et son rapport au théâtre lui-même, certes, mais quid du cirque ? Cependant, il est indéniable que cette re-contextualisation permet au moins de créer des images magnifiques qui participent grandement du succès du spectacle par la poésie inhérente à leur esthétique. Nous sommes ici dans un espace de transition, entre la poésie, le théâtre et la vie, et l’on finit par se laisser porter par la douceur des acteurs, et notamment de ce Cyrano fragile et fatigué, à contre-courant des interprétations habituelles. Si l’on va voir cette version, c’est avant tout pour la beauté des images qu’elle nous offre et l’originalité de la tentative.

Cyrano-Affiche-2019

Cyrano de Bergerac, par Les Évadés au Théâtre de l’Adresse

Informations pratiques

CYRANO
Festival OFF d’Avignon du 5 au 28 juillet 2019

Auteur(s)
Edmond Rostand, d’après Cyrano de Bergerac


CYRANO – Cie Miranda
Mise en scène Thierry Surace assisté de Léa Pacini
Collaboration artistique William Mesguich
Interprètes Jessica Astier, Julien Faure, Lucas Gimello, Thomas Santarelli,
Sylvia Scantamburlo, Jérôme Schoof, Thierry Surace
Scénographie Philippe Maurin
Durée 1h20

Au Théâtre du Balcon à 14h (relâches mardis 9, 16 et 23 juillet)

CYRANO(S) – Cie les Moutons Noirs
Interprètes Roland Bruit, Axel Drhey, Yannick Laubin,
Pauline Paolini, Bertrand Saunier
Collaboration artistique Iris Mimezami et Paola Secret
Masques Yannick Laubin
Durée 1h35

Au Théâtre du Roi René, salle du Roi à 15h35


CYRANO DE BERGERAC – Collectif Chapitre Treize
Mise en scène Gaspard Baumhauer
Interprètes Vincent Alexandre, Mickael Allouche, Antoine Aubert, Marie Benati, Alice Bergoënd, Younès Boucif, Elodie Faïd, Marcel Farge, Paul Scarfoglio, Leslie Gruel, Sydney Gybely, Marie Iasci, Barthélémy Maymat, Jordan Munoz, Pierre Szczurowski
Création lumière Erkan Narmanli, Hugo Manet
Durée 1h50

À l’Espace Roseaux Teinturiers à 22h15 (relâches mercredis 10, 17 et 24 juillet)


CYRANO DE BERGERAC – Cie Les Évadés
Mise en scène Sébastien Jégou Briant
Interprètes Anaëlle Queuille, Ronan Bacikova, Blandine Rottier, Sébastien Jégou Briant
Directeur d’acteur Alexandre Agostinho

Au Théâtre de l’Adresse à 16h05

Informations complémentaires
Festival OFF d’Avignon
www.avignonleoff.com

Compagnie Miranda
www.compagniemiranda.com

Compagnie Les Moutons Noirs
www.lesmoutonsnoirs.fr

Collectif Chapitre Treize
www.facebook.com/CollectifChapitreTreize

Compagnie Les Évadés
www.facebook.com/LesEvaD