[Coup d’oeil sur le OFF n°4] « La compagnie f.o.u.i.c au Festival d’Avignon »

Je vole… et le reste je le dirai aux ombres – Cie f.o.u.i.c © JC Lemasson

L’année dernière, elle était présente au 11-Gilgamesh avec sa création Je vole… et le reste je le dirai aux ombres. Cette année, c’est le tout nouveau théâtre des Gémeaux qui accueille la compagnie f.o.u.i.c avec la reprise de ce spectacle, mais aussi un retour à leur précédente création nommée deux fois aux Molières : Mangez-le si vous voulez. Deux pépites, fondées sur des faits réels, qui mettent en lumière la monstruosité humaine et cherchent les frontières de notre raison. Deux œuvres inclassables, tissées d’humour noir et d’émotions brutes, qui nous ébranlent avec une force inattendue. À « dévorer » sans modération à l’heure du petit-déjeuner à Avignon…

Mangez-le si vous voulez : Foire annuelle de Hautefaye, 16 août 1870. Sur un malentendu, Alain de Monéys, notable du village, est accusé d’être un Prussien : la foule se jette sur lui et, pendant plusieurs heures, le torture à mort… et le mange. Jean-Christophe Dollé campe ici le narrateur de cette histoire sordide et la victime oppressée par un village en furie que l’on devine, que l’on sent, évoqué tant par les mots que par la musique qui envahit progressivement l’espace à mesure que chaque son – de la batterie musicale à la batterie de cuisine – s’intègre à cet hymne de mort. Au même moment, une ménagère des années 50 (Clotilde Morgiève), dans sa jolie cuisine rose, prépare le repas, avec ce sourire figé d’ancienne publicité qui lui donne ici un air carnassier. Derrière l’ordre apparent d’un petit monde fringant se révèle un malaise grandissant, qui confine à une terreur sourde : entre le récit et la scénographie, un décalage glaçant s’opère. L’humour noir se mêle à une vision absurde, la cruauté gangrène la beauté factice à travers un délitement progressif de l’espace. L’évocation passe par le double-sens constant de l’image, et c’est dans notre esprit que le « gore » se crée. Cette mise en scène rare est brillante d’inventivité, elle saisit les sens jusqu’à la saturation et, sans vraiment montrer d’horreur, parvient à nous pousser au bord de la nausée. L’anecdote historique, à travers sa représentation sans cadre, est le support d’un spectacle qui – on ne l’oublie jamais – ne parle pas de « monstres », mais bien d’êtres humains (des « braves gens ») qui pourraient être n’importe qui, et qui, pour une raison ou une autre, dévient de leur trajectoire. Naît alors l’éternelle opposition entre ceux qui se livrent à la cruauté, ceux qui l’acceptent… et ceux qui résistent. Et par-dessus ce récit métaphorique de tous les désastres, en lettres de lumières, ce rappel d’humanité : « je t’aime ». On ne sort pas indemne d’une telle création.

Mangez-le (c) Gérard Flandrin
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Mangez-le si vous voulez – Cie f.o.u.i.c © Gérard Flandrin

Je vole… et le reste je le dirai aux ombres : Cette fois-ci, la compagnie f.o.u.i.c nous emmène à la découverte de la psyché de Richard Durn, le tueur de Nanterre. Le 28 mars 2002, à 10h20, il se jette par la fenêtre de la salle d’interrogatoire. Durant une seconde – la seconde de sa chute – il réalise son rêve : voler. Nous sommes là, dans son esprit, durant cette seconde où le temps ralentit, se dilate à l’infini pour qu’en un flash désordonné lui revienne en mémoire toute sa vie. L’espace scénique est celui de son cerveau, de ses souvenirs dans lesquels nous entrons grâce aux mots de son journal intime. Au milieu des lieux-clés de sa vie, une grande cage de verre contrôle tout, fait naître les personnages, les situations, provoque les décisions. Cette scénographie, au service d’une dramaturgie partiellement éclatée, temporellement déformée, distendue, comme étirée, donne vie à un thriller psychologique parfaitement rythmé, où il nous semble voir s’éclairer et s’éteindre les connexions neuronales de ce Richard dessiné en négatif, en creux, à travers le vide ou le fantôme autour duquel gravitent les autres personnages. Quelques tours de magie inattendus ajoutent à la sensation d’apesanteur, de suspension du temps qui constitue la plus grande prouesse de la représentation. C’est une tragédie moderne ; on sait déjà comment l’histoire se termine… Mais, à chaque instant ici, à chaque étape, l’ultime question se renouvelle : aurait-il pu en être autrement ? Et si… et si… et si ? Sans forcer le pathos du personnage, sans le plaindre ou excuser son geste, les acteurs parviennent à nous rendre son humanité à travers cette démonstration implacable, celle d’une vie qui semble se dérouler en cercles concentriques convergeant inéluctablement vers la chute. Peut-être aurait-il suffi d’un rien pour briser le tourbillon. Peut-être pas. Porté par une création sonore inquiétante et hypnotique complétée par l’intimité de l’amplification vocale, le spectacle nous immerge dans le domaine de l’étrange, du décalé, et nous laisse une sensation de léger malaise pétri de questions et de réflexions. Les acteurs, eux aussi, adoptent un jeu protéiforme, perturbant par ses adresses face-public pour un destinataire invisible, et qui ne brisent pas le quatrième mur, comme si nous étions derrière un miroir sans tain, ou une vitre teintée. Spectateurs de la mécanique cérébrale d’une vie. Une autre création d’une incroyable intelligence et originalité, qu’il faut découvrir absolument.

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Duo
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Je vole… et le reste je le dirai aux ombres – Cie f.o.u.i.c © JC Lemasson

Informations pratiques

Festival OFF d’Avignon du 5 au 28 juillet 2019

MANGEZ-LE SI VOUS VOULEZ – Cie f.o.u.i.c
De Jean Teulé
Mise en pièces Jean-Christophe Dollé, Clotilde Morgiève
Avec Clotilde Morgiève, Mehdi Bourayou, Laurent Guillet, Jean-Christophe Dollé
Scénographie Adeline Caron, Nicolas Brisset
Création sonore Fabien Ameunier
Création lumière Caroline Gicquel
Chorégraphie Magali B
Durée 1h25

Du 5 au 28 juillet à 11h50 (relâches 10, 17 et 24 juillet)

JE VOLE… ET LE RESTE JE LE DIRAI AUX OMBRES – Cie f.o.u.i.c
Texte Jean-Christophe Dollé
Mise en scène Clotilde Morgiève et Jean-Christophe Dollé
Assistante à la mise en scène Leïla Moguez
Avec Julien Derivaz, Clotilde Morgiève, Jean-Christophe Dollé
Voix Félicien Juttner et Nina Cauchard
Scénographie et costumes Marie Hervé
Conception magie Arthur Chavaudret
Création lumière Cyril Hamès
Dispositif sonore Soizic Tietto
Musique Collectif N.O.E
Régie plateau François Leneveu
Durée 1h25

Du 5 au 28 juillet à 10h (relâches 10, 17 et 24 juillet)

Adresse
Théâtre des Gémeaux
10, rue du Vieux Sextier
84000 Avignon

Informations complémentaires
Théâtre des Gémeaux Avignon
www.theatredesgemeaux.com

Festival OFF d’Avignon
www.avignon

Cie f.o.u.i.c
fouic.fr