« DE SUEUR ET D’ENCRE », un premier spectacle prometteur du Cirque Barcode

De sueur et d’encre du Cirque Barcode, mise en scène Jean-Pierre Cloutier © Jan Hromadko

En fond de scène des images en noir et blanc projetées, traces du passé qui laissent place à l’arrivée de quatre protagonistes enjoués portés par une musique moderne et entraînante. Leur histoire se découvre en filigrane sortie de l’imaginaire, parfois abstraite ou suggérée. Ces instantanés de vie se cristallisent autour de la mémoire, celle qu’on perd, celle des souvenirs et vecteur de l’identité intime. Ce sujet actuel et grave, dont la mise en scène de Jean-Pierre Cloutier souligne la force dramaturgique par les situations cocasses ou inattendues et quantité de détails, est traité de façon ambitieuse par le Cirque Barcode. Il n’est pas évident de concilier leurs disciplines de cirque à travers les multiples questionnements et la complexité des relations humaines évoqués dans ce spectacle. Les circassiens co-créateurs se révèlent aussi de véritables interprètes touchant aux univers du cinéma, du théâtre et de la danse avec un engagement corporel puissant.

Main à main, acrobaties, boîtes à cigares, barre russe, cerceau aérien, planche coréenne,… les numéros sont nombreux et d’une technicité remarquable. Les agrès peu communs peuvent être utilisés comme objets, manipulés, mis au service du jeu scénique ou de la danse alors qu’on assiste à de véritables prouesses. Le quatuor n’hésite pas à repousser les limites et à aller toujours plus loin, toujours plus haut sous l’oeil attentif du public. Malgré quelques fragilités, le travail est acharné, méticuleux et s’est construit à force d’explorations et dans une grande unité. Les artistes s’équilibrent sur le plateau, savent s’effacer ou venir soutenir la partition du ou des camarades. Le décor épuré est modulable à l’envi avec une rapidité déconcertante, soutenu par l’éclairage d’Arnaud Belley-Ferris pour créer de nouveaux espaces mouvants.

Le titre De sueur et d’encre annonce les médiums utilisés. Les corps en mouvement défient la gravité avec des numéros très physiques et l’encre vient en leitmotiv : empreinte photographique ou numérique, enregistrements, intelligence artificielle, le liquide noir indélébile se déverse dans le décor et sur le corps d’Éric Bates ou sur la robe d’Alexandra Royer, sublime et d’une incroyable légèreté dans le numéro de cerceau aérien. Des instants de poésie que l’on retrouve aussi par la magie des jeux de lumière, où l’on voit le corps d’Ève Bigel qui semble en lévitation entre les nuages. L’extraordinaire peut surgir à tout moment. Les spectateurs retiennent leur souffle devant les envolées acrobatiques de la voltigeuse Alexandra Royer sur la barre russe soutenue par Tristan Nielsen et Éric Bates. Au sol ou dans les airs, le trio offre avec une aisance déconcertante, une danse unique et gracieuse.

Au fil des tableaux, les artistes se livrent, se mettent à nu et construisent ensemble en donnant un nouvel élan à leur art avec une belle énergie. La composition musicale de Betty Bonifassi s’harmonise avec les acrobaties, porte ou souligne la dramaturgie des personnages ou des situations.
Voilà une proposition généreuse, drôle et touchante de la jeune compagnie québécoise du Cirque Barcode dont certains numéros ont été primés et qui est par ailleurs engagée pour l’environnement.