« Don Quichotte », d’après Miguel de Cervantès, mise en scène Jérémie le Louët au Théâtre 13

Article d’Ondine Bérenger

Le fou, le héros et l’artiste : la pluralité du mythe

Sur une scène employée comme plateau de tournage – décors et costumes de tous côtés, marquages au sol, caméras et rails de travelling apparents – la Compagnie des Dramaticules nous livre une adaptation aussi riche qu’inédite de l’œuvre de Cervantès.

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© Jean-Louis Fernandez

Dans un esprit similaire à celui de leur précédent Ubu Roi, il semble que nous assistions ici à un méticuleux travail de construction-déconstruction du mythe de Don Quichotte, à la fois fidèle et irrévérencieux, satirique et poignant, comique et tragique. Jérémie le Louët utilise tous les ressorts de l’écriture même de Cervantès ainsi que toute la machinerie théâtrale à sa disposition pour instituer un rapport trouble au temps et à la représentation. Le spectateur est ainsi d’autant plus saisi que l’immédiateté de la représentation est sans cesse rappelée, l’illusion théâtrale sans cesse brisée par un retour brutal à la réalité la plus directe : celui des acteurs répétant un rôle, sur un plateau-fouillis où les décors de carton-pâte semblent rire en disant « regardez, ce n’est que du théâtre… ». Où sont les personnages, où sont les comédiens ? Où se trouve la frontière entre la fiction et la réalité ? Qui croire, qui ne pas croire ? Où sommes-nous, dans une conférence, au théâtre, dans la chaleur de la Mancha ou à Paris le soir des Molières ? À quel temps se fier, celui du récit – des récits – celui du réel, aucun des deux peut-être ? L’alchimie est totale, la mise en abîme, d’une profondeur abyssale. Dans cette représentation labyrinthique, l’émotion surgit souvent où l’on ne l’attend pas, tant le ridicule côtoie la plus juste grandeur, le réalisme se frotte au mystique, l’espérance au canular. Il suffit d’une seconde pour passer du rire aux larmes.

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© Jean-Louis Fernandez

Tous les comédiens servent leurs rôles avec une énergie explosive, non sans une certaine auto-dérision qui achève de séduire et de happer le spectateur. Et, parmi eux, l’étonnant et déstabilisant Don Quichotte, à la fois personnage de fiction et Jérémie le Louët lui-même – ou bien est-ce l’inverse, Jérémie le Louët, à la fois metteur en scène et Don Quichotte lui-même ? On ne sait, car tous deux se confondent en un seul personnage. Quel est-il ?Artiste fou en plein délire, ou héros égaré dans le réel ? D’ailleurs, ces deux propositions sont-elles forcément antinomiques ? Quoiqu’il en soit, la figure est saisissante par la myriade de sentiments qu’elle suscite autant que par les interrogations qu’elle soulève et, surtout, par le symbole qu’elle incarne.

Ainsi, plus encore qu’un hommage vibrant au héros de Cervantès, ce Don Quichotte est un ovni théâtral d’une force fulgurante et un brûlant acte de foi et d’amour envers l’art du spectacle vivant.

 

 

Don Quichotte

d’après Miguel de Cervantès

adaptation et mise en scène Jérémie le Louët

avec Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Jérémie le Louët, David Maison, Dominique Massat

avec la participation des régisseurs Thomas Chrétien, Simon Denis et Tom Ménigault

Collaboration artistique Noémie Guedj

Scénographie Blandine Vieillot

Construction Guéwen Maigner

Costumes Barbara Gassier

Couture Lydie Lalaux

Vidéo Thomas Chrétien, Simon Denis et Jérémie le Louët

Lumières Thomas Chrétien

Son Simon Denis

Photos Jean-Louis Fernandez

 

du 8 septembre au 9 octobre

 

Théâtre 13 / Seine

30 rue du Chevaleret

75013 Paris

www.theatre13.com