« ELLES DISENT… L’ODYSSÉE » Entre classique et contemporain, une pièce féministe d’avant-garde

Près de 24 ans après la disparition du désormais célèbre dramaturge Jean-Luc Lagarce survenue le 30 septembre 1995, les éditions Les Solitaires Intempestifs publient Elles disent… L’Odyssée du défunt auteur. Cette pièce, achevée en 1978, s’inspire de l’ouvrage fondamental d’Homère. Elle se subdivise en 18 scènes et présente aux lecteurs, les figures féminines les plus importantes qui attendent ou accompagnent Ulysse lors de son périple.

Dans Elles disent… L’Odyssée, scène après scène, l’auteur donne la parole aux femmes qui s’épanchent sur leurs sentiments, leurs espoirs, leurs déceptions en fonction de leurs liens avec le mythique héros. Les amantes telles que la magicienne Circé ou encore Calypso, ne peuvent que se lamenter du manque d’intérêt dont elles souffrent face à un Ulysse toujours amoureux de sa fidèle épouse qui ne cesse de se languir en Ithaque. Dans cette version lagarcienne, Pénélope – qui a trop attendu par devoir – réalise que le temps a passé et que la vie d’antan ne pourra plus être retrouvée malgré le retour du héros. De même, les liens de filiation ont été éprouvés. Ici, on découvre un Télémaque, adolescent écorché vif, qui se rebelle et qui reproche au père absent, de l’avoir confronté trop tôt à des responsabilités d’adulte.

Dans cette version réadaptée des chants de l’Odyssée, Jean-Luc Lagarce se réapproprie et réinvente des personnages mythiques sans les dénaturer, tout en leur insufflant une modernité certaine. Il s’inspire de leurs situations initiales et va plus loin dans l’interprétation de leurs caractères psychologiques.

Bien qu’écrite il y a plus de 40 ans, force est de constater combien cette pièce fait écho à des problématiques contemporaines ; notamment la place des femmes et leur reconnaissance dans notre société patriarcale. La scène 12 en particulier, n’est pas sans faire résonance à certains écrits modernes comme ceux de l’auteur Falk Richter. Elle présente un choeur de personnages féminins issu de célèbres tragédies grecques qui prennent la parole pour dénoncer leurs tourments causés par les hommes ; et qui n’est pas sans rappeler le mouvement féministe #Me too d’aujourd’hui.

Elles disent… L’Odyssée, rédigée par l’auteur au début de sa carrière, montre les prémisses du futur style lagarcien, notamment à travers les thématiques phares du dramaturge telles que l’attente d’un retour, les désillusions et les silences, qui éclateront dans Juste la fin du monde et Le pays lointain. S’il est un ouvrage pour découvrir l’univers subtil, parfois complexe, de Jean-Luc Lagarce – outre son journal intime détaillé et foisonnant – cette oeuvre en est une excellente première approche, inattendue de modernité, qui pourrait réconcilier les experts de théâtre classique et de tragédies grecques avec les amateurs de théâtre contemporain.

* Ce texte a fait l’objet d’une lecture publique par France Culture, le samedi 20 juillet, dans le cadre du Festival d’Avignon 2019.

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Jean-Luc Lagarce en 1977 © Denis Bonnot

Informations pratiques

Auteur(s)
Jean-Luc Lagarce

Prix
14 euros

Les Solitaires Intempestifs
www.solitairesintempestifs.com