« LES FOLLES »  De fils et de musique pour rompre le silence 

Les autorités les avaient surnommées « Les Folles », ces femmes qui, depuis 1977, se rassemblent sur la Place de Mai de Buenos Aires, face au siège du gouvernement argentin, pour réclamer la vérité sur le sort de leurs trente mille enfants disparus durant la dictature militaire du général Vendela. C’est en hommage à ces figures puissantes d’une résistance indéfectible, dont la lutte encore inachevée se maintient depuis quarante ans, que la Compagnie La Mue/tte compose un triptyque documentaire émouvant pour briser le silence et rappeler la nécessité du combat.

Point de Croix. N’étant officiellement ni morts, ni vivants, les disparus sont privés de tombeau. Alors, pour contrer la tentative d’effacement, une mère brode sur ses foulards blancs les visages des absents. Dans la pénombre, accompagnée seulement de sa radio et de son tourne-disque, elle vit au milieu de ces fantômes qui hantent le plateau, portraits dont les fils laissés en suspens évoquent à la fois les larmes et l’attente. Surgissant de l’obscurité, comme un monstre de cauchemar, la silhouette immense du général à tête de mort ne manque pas de nous insuffler une juste terreur, manipulant cruellement les souvenirs des vies qu’il a arrachées. Sans un mot, Delphine Bardot nous entraîne dans l’intimité de son personnage maternel avec une sensibilité métaphorique immense qui laisse la gorge nouée. Chaque objet, de lui-même, raconte une histoire ; chaque geste est une étape dans le cheminement vers une reconstruction possible. Mais comment faire le deuil de ceux qu’on n’a pas enterrés ? Du désespoir isolé à la prise de conscience qui amène à se rassembler pour réclamer justice, la comédienne illustre à merveille l’avènement d’un mouvement de grande ampleur, porté par des personnalités dont l’image à la fois humaine et héroïque nous accompagne tout au long de la représentation – et bien longtemps ensuite.

L’entracte, qui suit cette première partie chargée d’émotions, n’est pas un pallier de décompression, mais un pont lancé vers une approche plus documentaire du sujet. Ainsi, dans un espace où se côtoient photographies d’époque, marionnettes, broderies et film, le public est invité à creuser davantage le sujet du spectacle. On regretterait presque que le parcours soit si libre et varié, car le public condensé dans un lieu restreint pour un temps relativement court empêche de profiter pleinement de la totalité de l’installation. Mais qu’à cela ne tienne, cette frustration est bien vite oubliée lorsque commence la seconde partie.

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© Cie La Muette

Dans Silencio es salud , Santiago Moreno mêle marionnettes, objets, vidéo, audio et musique en direct pour nous raconter, au travers de nombreuses archives, l’histoire de la dictature et des mères de la Place de Mai. C’est ici que le silence doit être pulvérisé dans un acte commémoratif et revendicateur : comment venir à bout de l’impunité ? Comment trouver des réponses ? Si l’on craint un instant que le travail multimédia, bien que prenant, ne devienne excessivement présent et nuise au vivant du spectacle, cette appréhension est vite balayée par la manière délicate et créative dont Santiago Moreno l’emploie, interagissant sans cesse avec la vidéo jusqu’à se faire presque illusionniste, toujours avec la force métaphorique déployée depuis la première partie. Fin, délicat, il ne livre pas de connaissance scolaire – le spectacle serait d’ailleurs difficilement abordable pour qui n’aurait jamais entendu parler de ce morceau d’Histoire – mais il informe avec empathie, depuis le cœur même du sujet, sans volonté de donner dans le pathétique ou la complaisance mais au contraire, avec une détermination teintée d’un optimisme viscéral, communicatif, qui fait ressentir l’existence d’un devoir envers la vérité.

A tous les égards, Les Folles est un spectacle aussi instructif que poignant, nécessitant sans doute quelques connaissances préalables, mais néanmoins accesible et éclairant. L’hommage est flamboyant pour une résistance encore d’actualité : quand l’art est un moyen d’abolir la dictature du silence…

 

Informations pratiques

Conception
La Compagnie La Mue/tte

Avec
Delphine Bardot et Santiago Moreno

Dates
Du 17 au 28 octobre 2017

Durée
1h30

Adresse
Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette
73 rue Mouffetard
75005 Paris


Informations et dates de tournée

https://www.lamuette.org

http://www.lemouffetard.com