« Full HD », de et par la Compagnie Doble Mandoble au Théâtre Victor Hugo (Bagneux)

Article d’Ondine Bérenger

Violence sans paroles

Dans le cadre du festival VIRTUEL.HOM[ME] de Bagneux, visant à faire réfléchir au sujet du transhumanisme (mouvement visant à rendre possible l’existence d’hommes aux capacités augmentées par des moyens technologiques, allant parfois jusqu’à un rêve d’immortalité), la Compagnie Doble Mandoble entreprend de nous montrer, à travers son spectacle, un possible futur inscrit dans cet idéal controversé.

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Dans un décor froid, la télécommande de l’Intelligence Artificielle chargée de réguler la vie d’un homme « moderne » (télécommande d’ailleurs ironiquement représentée par une ancienne GameBoy) trône symboliquement au centre de la scène. L’IA en elle-même, d’ailleurs, est omniprésente et occupe l’espace scénique : sa voix sera seule à résonner dans la salle, et son vaste écran de contrôle occupe toute la largeur du plateau. La technologie est une reine faussement asservie par l’homme avide de capacités nouvelles devant améliorer sa vie.

Visuellement déroutant – mais esthétique – et techniquement irréprochable, ce théâtre gestuel, mais aussi spectacle de magie, s’inscrit dans un genre tout à fait singulier et surprenant. Loin d’être moralisateur, la représentation qu’il offre d’un futur possible interroge inévitablement le spectateur : l’hyper-connexion est-elle souhaitable ? Ne s’accompagne-t-elle pas d’une sorte de déshumanisation ? Où se trouve le contact humain dans un monde où la technologie règne ? Quelles dérives dans un tel futur ?
Mais d’autres questions, peut-être encore plus immédiatement urgentes, transparaissent aussi dans les relations entre les deux seuls personnages humains de la pièce : qu’est-ce qui définit l’identité d’une personne ? L’homme est-il unique ? Est-il multiple? Les relations sociales sont-elles un cercle éternellement reproductible ? Les êtres sont-ils remplaçables, interchangeables ? Et serait-il possible, par la science, de recréer une personne à l’identique ? D’ailleurs, un individu est-il encore lui-même lorsque tous ses membres sont remplacés par des machines ?

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Autant de questions sans réponse que la Compagnie Doble Mandoble place sous les yeux des spectateurs avec une légèreté étonnante. Sous couvert de faire sourire et de divertir, de vrais problèmes se posent quant aux mutations d’une société potentiellement ultra-développée, visant à faire de l’homme un sur-homme, presque un Dieu.
D’ailleurs, ces mutations, d’apparence peut-être attirante de prime abord, s’accompagnent dans cette représentation d’images qui, sous une feinte légèreté, démontrent une violence considérable : corps découpé, mutilé au laser pour en changer un par un tous les membres, êtres humains jetés à la poubelle et recréés en quelques minutes par une imprimante… On sourit au cocasse mais l’horreur est présente.

Et c’est sans doute cette force qui fait de ce spectacle une belle réussite : il parvient à divertir et à faire sourire, voire rire, tout en posant des questions difficiles. Sans prétention, il n’entend pas donner de réponse, ni même se faire juge du bien-fondé de l’idéal transhumaniste. Il n’est que la représentation d’un futur possible, dont il convient de montrer à la fois l’attrait et le danger afin de mieux le comprendre, et de demander au spectateur : jusqu’où peut-on aller dans le progrès technique ? Et qu’est-on prêt à accepter pour vaincre nos limites humaines ?

 

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Concept et interprétation Luis Javier et Miguel Angel Cordoba
Mise en scène Erza Moreno
Scénographie Marco Nicolo et Thyl Beniest
Composition musicale Borja Buron
Consultant magie Adrian Soler
Production / Diffusion Pile & Art

Les 10 et 11 janvier

Théâtre Victor Hugo
14 avenue Victor Hugo
92220 Bagneux
www.bagneux92.fr