« La Gentillesse » de la compagnie Demesten Titip, Théâtre de l’Echangeur, Bagnolet.

Un article de Camille Mouterde

 

© Ronald Reyes

La Gentillesse est une fable loufoque et picturale, aux allures de rêve éveillé, de cauchemar parfois.

Une fenêtre ouverte sur l’intérieur d’une famille, un salon artisto-crade, vieux meubles bousillés par le temps, un plafond de bric et brocs se décomposant au long du spectacle.

Une famille qui reproduit encore certains automatismes de sa « caste », vestiges de protocole qui ne font plus sens. Une famille fauchée, qui se raconte rêves et souvenirs, pour tuer le temps, pour ouvrir un ailleurs ou percer des échappées.

Mais comment faire quand le ciel est vide mais qu’il gronde, quand le plafond s’écroule, quand l’univers court à sa perte et quand les modèles sociétales – le communisme et le capitalisme – échouent à proposer une utopie vivable ?

Dans la première scène, l’un des personnages cherche à tricoter des fils pour créer une structure gigantesque censée représenter le système capitaliste dans toute sa complexité. De même, ce spectacle construit une structure méandreuse, un entrelas géant, où les fils deviennent ces témoignages de rêves, de cauchemars et de souvenirs et ces apparitions plastiques, fantasmatiques, qui le ponctuent.

La Gentillesse c’est aussi ce rapport différent à l’autre qui se construit devant nos yeux, ce pas de côté sur des attitudes considérées comme « normales » ou « logiques ». Cette très grande proximité des visages lorsqu’on se parle, ces pulsions irreprécibles à s’embrasser langoureusement, rendent ces personnages à la fois touchants, étranges et drôles.

Ils sont légèrement différents, un peu décalés, comme dans un rêve où l’on croit reconnaître la personne alors que lorsqu’on la regarde bien, elle a le visage brouillé.

Ils semblent traversés de cette jolie naïveté de ceux qui disent tout ce qui leur passent par la tête, dont le corps semble s’individualiser de toute pré-pensée.

Dans le fond, ce sont des enfants, ou des clowns.

Des personnages « hors-venus », venus d’un ailleurs, intègrent la famille et viennent recomposer ce vase clôt familial de la mère et ses deux filles.

Ces arrivées vont finaliser d’ouvrir des brèches, la parole se libère, à coups de paraboles, et des nouvelles lignes de fuite se dessinent.

La scénographie, composite de petits bidules, fils, poteries et canapés défoncés, nous plonge dans cet espace entre-deux mondes, entre rêve et réalité, entre un monde établi ou croulant.

La Gentillesse, c’est une fresque magnifique, très esthétique, une direction d’acteurs remarquable, qui met en lumière ces petits riens qui nous décalent, ce pas de côté nécessaire pour appréhender le monde autrement.


La Gentillesse, 

Un spectacle de la compagnie Demesten Titip 

Dramaturgie et Mise en scène Christelle Harbonne
Scénographie Laurent Le Bourhis
Création sonore Sébastien Rouiller et Brice Kartmann
Création lumière Laurent Vergnaud 

Avec Adrien Guiraud, Marianne Houspie, Solenne Keravis, Blandine Madec, Gilbert Traïna

 

Du 20 au 27 février 2017

 

http://www.lechangeur.org