Interview de Cesare Capitani dans le cadre de son spectacle « L’autre Galilée » représenté au Théâtre du Lucernaire

Propos recueillis par Richard Magaldi-Trichet

Theatreactu : Pourquoi Galilée ?

CC : Un peu le fruit du hasard, pendant une tournée avec « Moi Caravage », on m’a proposé de participer au Festival de la correspondance de Grignan, sur le thème des philosophes. Quelqu’un m’a suggéré Galilée, italien, même époque que Caravage. Je ne connaissais pas du tout le Galilée philosophe, j’ai découvert à travers ses lettres un personnage drôle, plein d’ironie, très intéressant dans ses observations vis-à-vis du pouvoir et de l’Église. Je suis resté au début au stade de lecture de ses lettres. Ensuite avec le metteur en scène Thierry Surace on a eu l’idée de monter un vrai spectacle pour faire découvrir le vrai visage de Galilée. Pour moi c’était un vieux monsieur, barbu, barbant même, et qui avait dit « Et pourtant elle tourne… ». On oublie qu’il a été jeune, passionné, le savant le plus connu de son époque… Il m’est devenu de plus en plus sympathique. J’ai voulu en faire quelque chose de plus théâtral mais tout en partant des lettres, sans faire vraiment une biographie linéaire. Ce que j’ai surtout retenu c’est son combat pour la liberté de penser. Je n’utilise pas le mot laïcité qui n’existait pas à l’époque, mais il disait « Je ne sais pas, je n’ai pas de preuves, mais l’homme doit avoir le droit de formuler des hypothèses. Pourquoi la Terre ne tournerait pas autour du Soleil, comme l’a déjà suggéré Copernic ? Il faut avoir la possibilité d’avoir des doutes, de se questionner ». C’est cette démarche très moderne qui m’a plu. Cela nous renvoie à tout notre débat sur la laïcité, sur le droit de dire les choses et de critiquer. En fait le choix de Galilée fut un hasard et je me suis rendu compte plus j’avançais de la résonance qu’il avait dans l’actualité.

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Theatreactu : Donc maintenant que vous avez étudié le sujet, pour vous peut-on être scientifique et croyant ?

CC: À deux reprises on a organisé un débat après le spectacle, j’ai fait venir un savant astrophysicien spécialisé dans la recherche d’autres vies dans l’univers, et qui est donc à la fois croyant et scientifique. C’était donc très intéressant. Je me suis mis dans la peau de Galilée, car lui à son époque, bien qu’étant croyant, a dû se démarquer de sa religion, au contraire de Copernic qui était chanoine ou Kepler qui pensait que chaque planète était gouvernée par un ange. Galilée a vraiment eu une démarche scientifique en voulant séparer la science de la religion, et c’était important de le faire à son époque. Dans ces mêmes débats j’ai rencontré quelqu’un qui m’a déclaré « On peut être intègre dans sa foi sans être intégriste » et je trouve cela très beau, de pouvoir garder une croyance scientifique et spirituelle à la fois.

Theatreactu : Justement de nombreux professeurs se plaignent aujourd’hui de la remise en cause par quelques élèves de certains fondements scientifiques. Avez-vous eu des groupes scolaires pour en discuter ?

CC : Plusieurs jeunes sont venus me voir en disant « C’est trop bien, c’est trop bien, quelqu’un qui s’est battu comme ça, qui croyait en des choses ». C’est vrai que je n’en fais pas un personnage athée, contre l’Église. Il croit en Dieu, jusqu’à sa mort. Mais il ne croyait pas au mélange entre foi et observation scientifique. De nos jours quand on parle de créationnisme, c’est quelque chose qui me fait peur. Je n’ai pas fait ce spectacle dans une dynamique « après Charlie Hebdo » mais il y a trouvé une résonance. Je trouve important de pouvoir dire comme Galilée « je ne sais pas si c’est vrai mais j’ai le droit de le dire ». Je viens de lire le « Traité de la tolérance » de Voltaire et on y trouve exactement les mêmes choses. Je trouve cela triste aujourd’hui de voir qu’on ne peut pas utiliser certains mots, on n’est plus au temps de l’Inquisition pourtant !

Theatreactu : Quel a été le travail du metteur en scène avec vous ?

CC : J’ai connu Thierry Surace dans son théâtre à Nice pendant mon précédent spectacle, c’est la première fois que je travaillais avec lui. Je savais qu’il allait me demander d’utiliser en tant que comédiens certains aspects que je n’avais pas utilisés pour « Moi Caravage ». Il a fait un travail très important pour passer d’une écriture épistolaire à une situation dramaturgique, à travers tout un travail de lecture des lettres, d’improvisations. Le spectacle que je présente est la vingt-deuxième version du texte ! Ça a changé vingt-deux fois ! Et d’une manière importante, pas que dans les détails. On est passé d’une lecture de lettres à une sorte de conférence, puis conférence avec un personnage presque burlesque, décalé et finalement on est revenu à une sorte d’incarnation sans passer par une transformation physique comme j’avais fait avec Caravage. Je voulais que tout passe plus par ses lettres, son texte. Même son costume est un peu passe-partout, pas lié à une époque pour donner plus de force à ce qu’il dit. Il était étonnant par exemple à l’époque de ne pas se marier et de passer plus de vingt ans avec la même femme ! Il refusait le mariage.
Le metteur en scène a choisi de rester très très sobre pour les lumières et le décor. Dorothée Lebrun avait déjà fait les lumières pour Caravage, c’est très important quand on est seul sur scène. La moindre petite variation indique un changement de point de vue.

Theatreactu : Après Caravage, Galilée, un nouveau personnage historique en projet ?

CC : Non, pas pour l’instant, c’était le hasard. Je prépare maintenant un spectacle plus contemporain, je serai sur scène avec des musiciens, je parle de ma vie, de l’Italie, le rapport sur scène à une autre langue… Mon histoire un peu, de manière assez drôle, avec musique… J’aborde les différences entre italiens et français, sans clichés… J’ai commencé à le jouer déjà un peu en parallèle.

Theatreactu : Toujours seul sur scène ? C’est un choix ?

CC : Non pour Caravage il y avait une chanteuse-comédienne qui intervenait aussi. Pour Galilée on a essayé une version avec un musicien qui pouvait également intervenir, mais on n’a pas gardé l’idée. Maintenant être seul sur scène, c’est un peu plus difficile parfois, je ne peux m’appuyer sur personne, mais en même temps c’est un sacré exercice qui donne beaucoup de force, je ne l’avais jamais fait auparavant. Mais bien sûr j’aimerais toujours retrouver un Shakespeare, Marivaux…

Theatreactu : Et en italien ?

CC : Oui on avait donné Caravage en italien, pour Galilée la version est prête, il y a beaucoup d’italiens à Paris, et de français qui aiment l’italien ! Peut-être si le spectacle est repris en janvier, un soir par semaine en italien !

Theatreactu : Donc prochain spectacle : « Cesare Capitani raconte sa vie » ?

CC : (en riant) Pour le moment c’est « Promenade en Italie », c’est moi et aussi plusieurs personnages, je joue avec les dialectes italiens, je pioche un peu dans ma vie, dans Goldoni, je chante pour la première fois, variété et chansons populaires… Voilà, je m’amuse beaucoup !

L’autre Galilée de Cesare Capitani
mise en scène de Thierry Surface
Avec Cesare Capitani
Musique Antonio Catalfamo
Lumière Dorothée Lebrun
Costume Vjollce Bega
Décor Ségolène Denis
jusqu’au 28 novembre du mardi au samedi à 19h

Au Lucernaire
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
http://www.lucernaire.fr/