« Le Jeu du chat et de la souris », d'après Istvan Örkény, adaptation théâtrale de Fabienne Gozlan au Théâtre de l'Epée de Bois

Article de Céline Coturel

Quand le chat cède à la souris

« Il vaut mieux épouser un pharmacien qui veut être pharmacien qu’un ingénieur qui veut être chanteur ! » À ces mots prononcés par sa mère, Mme Orban (Jeanne-Marie Garcia) a réalisé un mariage conventionnel. À l’aube d’un âge avancé, devenue veuve, elle passe des week-ends sans grande surprise chez sa fille et son gendre. Pourtant, vivre sans prise de risque ne lui a jamais correspondu. C’est pourquoi tout prend une nouvelle tournure le jour où elle retrouve son ancien prétendant, Oskar, le chanteur d’opéra. Elle sort, le retrouve, s’habille élégamment, revit. Mais le plus important pour elle reste ses conversations avec sa sœur Giza (Sophie Pincemaille), partie vivre à l’étranger. Par lettre ou par téléphone, elle lui raconte tout, son évolution, ses joies, ses peines. Car parfois, on arrive plus à en dire à quelqu’un qui est loin qu’à quelqu’un qu’on a sous les yeux. Et c’est une richesse tant littéraire que théâtrale qui s’offre alors à nous. Le Jeu du chat et de la souris se fait par échange de points de vue, et par récits dans le récit. Le dialogue est très présent et aborde « les choses de la vie » (du titre du film de Claude Sautet), de façon aussi tendre que cruelle.

Fabienne Gozlan le comprend parfaitement et met en scène ces conversations à distance par un ingénieux système de lumières. Elle plonge dans l’obscurité Mme Orban et focalise sur Giza seule la source de lumière. Celle-ci est crue, blanche, tombant précisément sur la vieille femme. À la fin de son discours, l’éclairage change brusquement. Il vient se poser plus diffusément sur Mme Orban qui prend la parole et sur son modeste lieu de vie – une table, une chaise, deux poêles à bois. Les tonalités sont plus chaudes… c’est là le lieu principal de la pièce. L’une est en fauteuil roulant, l’autre est en tablier et épluche des pommes de terre. À ces gestes machinaux, à leur conversation si familière, les deux femmes nous exposent un quotidien, le leur. Cette circulation du regard d’un espace à l’autre ne cesse d’être travaillé par Fabienne Gozlan. Quant aux deux actrices principales, elles sont splendides de nuances dorées. Elles parviennent à exposer des sentiments contradictoires en donnant la sensation qu’elles les ignorent.

Et puis, un homme se trouve assis à la table de Mme Orban, dos au public, c’est le violoncelliste. On ne verra jamais son visage, il confère une présence mystérieuse et omniprésente à la pièce, sans jamais interrompre le cours de l’histoire. Un peu comme Oskar, le chanteur que Mme Orban repousse mais dont elle parle tout le temps. Il prête aussi sa voix douce et ferme, doublée d’un accent slave, à Oskar, sans pour autant bouger de son siège. Incarne-t-il la honte ? Le repli sur soi-même ? Arrivé à un certain âge, la société pro-active qui cantonne les hommes et les femmes du troisième âge à s’éteindre avant l’heure ne les autorise plus à « changer » le cours de leur vie, ne serait-ce que pour la poursuivre différemment. Istvan Örkény (1912-1979), l’auteur du Chat et de la souris, est une figure marquante de la littérature hongroise. Il défend l’idée humaniste que l’apprentissage se fait toute la vie. Et que l’expérience se vit jusqu’au dernier souffle. À travers Mme Orban et Oskar, chat et souris pris entre les griffes du carcan sociétal, c’est la vie et les mœurs des années 1960 (entre Hongrie et Allemagne) qui nous sont relatées. Mais à cet égard, ont-elles vraiment changées ?

Le Jeu du chat et de la souris

Auteur Istvan Örkény
Mise en scène Fabienne Gozlan
Avec Jeanne-Marie Garcia
Sophie Pincemaille
Fabienne Gozlan
Paruyr Shahazizian (violoncelle et jeu)
Musique Antonin Rey
Lumières Simon Desplébin
Chorégraphie Sophie Mayer
Vidéo Valentin Lagard
Décor Aurélie Breteaux

Compagnie Chat du Chéschire
ciechatducheschire.free.fr

Du 25 octobre au 13 novembre 2016

THÉÂTRE DE L’ÉPÉE DE BOIS

Cartoucherie

Route du Champ de Manœuvre

75012 Paris

http://www.epeedebois.com/