« Les femmes savantes » mise en scène Elisabeth Chailloux, au Théâtre des Quartiers d’Ivry

Article de Marianne Guernet-Mouton

L’hymen ou la philosophie ?

Au Théâtre des Quartiers d’Ivry, Les femmes savantes de Molière lancent l’année théâtrale 2016 avec une mise en scène d’Elisabeth Chailloux, qui place l’action dans les années 60 et entend transformer la maison de Chrysale en fief de revendications féministes. Les femmes savantes, une comédie féministe ou misogyne ? Telle est la question soulevée par une mise en scène épurée et somme toute assez classique, qui ne surcharge pas le texte dont elle donne surtout à entendre les alexandrins.

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© Bellamy

C’est avec Henriette qui danse et chante sur « La plus belle pour aller danser » de Sylvie Vartan que la pièce commence, dévoilant un plateau relativement vide, seulement occupé par une série de chaises et deux tables rangées sur les côtés. En fond de ce praticable laissé vide : deux portes rouges dont l’une posée dans le vide qui sert le comique de certaines scènes et dynamise les enchaînements. Aussi, l’une des particularités du décor est d’avoir créé tout autour d’un plateau central où se tient toujours l’action principale, des pièces seulement fermées par du tulle noir. Toutes ces pièces à la fois visibles et fermées servent le texte et ses quiproquos en permettant des scènes muettes parallèlement à l’action principale. Dans ce décor coloré où juste le nécessaire est présent, les acteurs évoluent habillés à la mode des années 60, à l’exception du notaire qui à l’aube du dénouement fait son entrée en costume du XVIIe. Elisabeth Chailloux a voulu reproduire un univers esthétique qui replace la pièce de Molière dans le contexte de l’émancipation féminine des sixties, aussi bien par les costumes et le décor que la musique. Si la pièce commence par une musique de Sylvie Vartan, de nombreuses scènes sont ensuite ponctuées par les premières notes de Fever (de Peggy Lee) ce qui a pour effet de décupler le comique de certains passages bien que cela finisse par devenir répétitif.

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© Bellamy

Dans cette maison, Chrysale, se désole de voir sa femme Philaminte, admirablement incarnée par Camille Grandville, sa belle-sœur Bélise et sa fille Armande, subjuguées par Trissotin, un faux intellectuel. Aussi, Chrysale se désole de voir les femmes de sa maison délaisser la couture et les fourneaux pour la lecture et décide de tenir tête à sa femme. Si Chrysale fait partie de ces hommes qui préfèrent une femme qui sait mieux éplucher les légumes qu’user le verbe, Elisabeth Chailloux elle, prend le parti de nous montrer un homme hésitant, soumis et incertain. La metteuse en scène se joue donc du texte en proposant de montrer les hommes et les femmes sur un pied d’égalité. Le résultat est assez réussi dans la mesure où le fait de faire rire en faisant se comporter les hommes comme des femmes rappelle à quel point l’inverse ne nous choque malheureusement plus.
L’un des moments les plus réussis de la mise en scène de cette comédie sur l’éducation des femmes reste l’apparition d’un tableau de bois figurant une série de mots jugés grossiers que le groupe de savantes rêve d’évincer de la langue française, on y lit notamment « toupet, culminer, confesse, recul… ». Certaines propositions d’Elisabeth Chailloux sont à ce titre particulièrement convaincantes et drôles. En revanche, alors que le jeu des acteurs est précis et énergique, la déclamation des alexandrins paraît parfois trop rigide et difficile. Qu’à cela ne tienne, on ne se lasse pas d’entendre les vers de Molière et la mise en scène est pertinente. Pour autant, est-elle féministe ? Certes on garde en tête l’image de femmes soucieuses de la grammaire et éduquées face à des hommes ne pouvant défendre leur supériorité, n’en demeure pas moins qu’entre hymen et philosophie, « quoiqu’on dise » le dénouement lui, célèbre l’hymen.

Les femmes savantes, de Molière
Mise en scène Elisabeth Chailloux
Scénographie et lumière, Yves Collet
Costumes Dominique Rocher
Son Madame Polak
Maquillages Nathy Polak
Assistant lumière Léo Garnier
Assistant à la mise en scène Pablo Dubott
Assistant décor Franck Lagaroge,
Régie lumière Pascal Joris
Avec Anthony Audoux, Philippe Cherdel, Bénédicte Choisnet, Etienne Coquereau, Camille Grandville, Florent Guyot, Pauline Huruguen, François Lequesne, Catherine Morlot, Lison Pennec

Du 4 au 31 janvier 2016

Théâtre d’Ivry Antoine Vitez
10, place Charles Dullin
75018 Paris
http://www.theatre-quartiers-ivry.com