« Les Fils de la Terre » d’après le documentaire d’Édouard Bergeon, adaptation et mise en scène d’Élise Noiraud

Article de Bruno Deslot

Tragédie familiale en milieu rural

Prix Théâtre 13 / Jeunes metteurs en scène 2015 / Prix du Jury et Prix du Public, la pièce « Les Fils de la Terre » est à nouveau programmée au Théâtre 13 Seine. Cette tragédie rurale, inspirée du documentaire d’Édouard Bergeon, propose une partition collective coordonnée avec intelligence et finesse, durant laquelle les émotions, relevant du non-dit, constituent un véritable terreau dans lequel les personnages de la pièce s’enlisent bien malgré eux.

Suivant les chemins de campagne empruntés par de grands noms, comme Raymond Depardon (Profils paysans) et bien d’autres, avec « Les Fils de la Terre » (2012), Édouard Bergeon réalise un portrait poignant sur le monde rural qu’Élise Noiraud adapte pour la scène, montrant la manière dont ce sujet n’inspire que peu d’auteurs et de metteurs en scène contemporains. Toute la force dramaturgique de la proposition réside dans la manière dont Élise Noiraud réussit à conserver l’origine documentaire de la thématique à partir d’une écriture théâtrale dont les dialogues se révèlent être d’un réalisme aussi simple que touchant. Les problèmes économiques et politiques étouffants un monde rural presque à l’agonie, sont évoqués au début de la pièce qui bascule rapidement dans une tragédie familiale allant bien au-delà des enjeux de la FNSEA, des quotas laitiers etc…auxquels sont confrontés, chaque jour, l’ensemble des agriculteurs du territoire français. La pièce observe le fil conducteur de la filiation, permettant ainsi de mettre en lumière les affres familiales d’une phratrie au bord du précipice.

Les fils de la terre @Benoit Bouthors - ok - IMG_4952 copie© Benoit Bouthors

Dans la ferme, à l’avant de la scène, Sébastien Itard (Vincent Remoissenet), retourne le foin à l’aide de sa fourche. Le geste est nerveux, le visage préoccupé, on pressent un malaise mais lequel ? Il disperse sa douleur et celle de ses proches avec. 600 000 mille euros de dettes, une mère (Julie Deyre) proche de la retraite, un père (François Brunet) à la retraite, une femme enceinte (Sandrine Deschamps) souhaitant que son mari, Sébastien, cesse de s’occuper de la ferme familiale, l’ami (Benjamin Brenière), une petite trentaine pleine d’espoir, s’apprêtant à quitter Figeac pour ouvrir un restaurant à Cahors et le juriste (Sylvain Porcher) rappelant les faits douloureux de la situation économique de la ferme. En apparence, l’équation est simple, mais en fait, beaucoup plus compliquée qu’il n’y paraît ! Sébastien Itard n’est pas un « vrai paysan » comme le dit son père avec véhémence. Il a goûté à la ville, travaille à la ferme en dilettante et n’est là finalement pour personne, ce qui risque sans cesse de le mener à sa perte et d’entraîner avec lui, ses proches, vers un chaos irréversible.

les-fils-de-la-terre-benoit-bouthors_1© Benoit Bouthors

Sur le plateau, trois espaces distincts, permettent de situer les personnages dans leur environnement et de mieux en cerner les enjeux. Á l’avant de la scène, la ferme. En fond de scène, à jardin, l’appartement de Benjamin Itard, à cour, la maison des parents. Chaque espace est occupé par quelques éléments de décor simples et suffisamment suggestifs afin d’être davantage dans l’évocation que dans la réelle reconstitution. Les comédiens passent d’un lieu à un autre avec une surprenante fluidité, en allant toujours à l’essentiel tout comme cette parole simple, dure et rude des gens qui vivent au grand air. Pas de dithyrambes pour exprimer un sentiment, une émotion, mais des phrases courtes dont la puissance évocatrice se suffit à elle-même. Dans cet univers rural, où le geste l’emporte sur la parole bavarde, les comédiens, dirigés par Élise Noiraud, incarnent, chacun à leur manière, leur (s) personnage(s) avec un talent indéniable.
Souhaitons que ce spectacle d’exception fasse date et ouvre le chemin des possibles pour une compagnie, assurément ancrée dans les principes mêmes d’une théâtralité exigeante, de qualité et traitant d’un sujet fondamentalement sociétale.

Les Fils de la Terre
D’après le documentaire d’Édouard Bergeon
Adaptation et mise en scène d’Élise Noiraud
Avec Benjamin Brenière, François Brunet, Sandrine Deschamps, Julie Deyre, Sylvain Porcher, Vincent Remoissonet
Scénographie et lumières Philippe Sazerat
Création sonore François Salmon et Adrien Soulier
Costumes Mélissande de Serres
Du 8 au 18 octobre 2015

Théâtre 13 Seine
30 rue du Chevaleret
75013 Paris
http://www.theatre13.com/