« PERFORMING ART »  Noé Soulier donne le tempo et les œuvres du Centre Pompidou suivent la cadence 

La 46ème édition du Festival d’Automne s’ouvre avec Performing Art, une création tricéphale du chorégraphe et philosophe Noé Soulier, au carrefour entre performance, théâtre et danse, répondant ainsi à la ligne de mire de ce festival : mettre en regard les différentes disciplines artistiques contemporaines. Parallèlement à d’autres chorégraphes comme Jérôme Bel qui danse dans l’espace muséal, Soulier fait quant à lui danser une vingtaine d’œuvres des collections du Centre Pompidou sur les planches. Il pousse ici sa réflexion sur le mouvement et sur ce qui fait danse pour expérimenter les différents bouleversements que la scène peut apporter à notre perception de l’œuvre d’art. Pour cette nouvelle pièce, le danseur et metteur en scène a choisi un spectre d’œuvres hétéroclites, de l’huile sur toile au numérique en passant par le ready-made.

La sobriété du décor – une cimaise blanche centrée sur un parquet vernis – renvoie directement à celle des galeries d’art contemporain et l’éclairage n’accentue en rien la dramatisation des objets d’art déjà en œuvre dans les musées. A partir de là, Soulier crée des environnements immersifs différents, des paysages évolutifs qui se construisent et se déconstruisent au gré des fluctuations des régisseurs qui transportent, déballent, fixent et installent les œuvres sur scène. Ces différents tableaux scéniques alternant espace conventionnel d’exposition et intérieur bourgeois, mettent en lumière la subjectivité de l’accrochage qui permet aux œuvres de dialoguer entre elles. Le chorégraphe questionne également l’ordre dans lequel les objets sont installés et parodie la hiérarchie de valeur de l’œuvre d’art, accrochant successivement une toile encadrée, un objet design et un objet relevant du ready-made. De plus, en invitant les chariots et containers de transport sur scène devant le mur immaculé et sous la même lumière que les œuvres d’art, Soulier sacralise ces objets du quotidien et réifie, en même temps, la dimension cultuelle des œuvres. Enfin, les différentes manipulations et étapes du processus d’installation agissent sur notre perception des œuvres et désorientent leur lecture habituelle. L’œuvre d’art a-t-elle en effet déjà sa valeur artistique quand elle est encore emballée, dérobée à notre vue ?

Si les gestes répétitifs des régisseurs et l’aspect fastidieux et longuet de certains accrochages suscitent presque l’endormissement du spectateur, des notes humoristiques viennent ponctuer la représentation. On pense par exemple à la minutie et la précaution exacerbée d’un régisseur pour installer une par une les pièces d’un échiquier et pour les démonter quelques minutes après. Il en va de même pour une œuvre sur laquelle défilent des signaux électroniques qui joue le rôle d’un cartel numérique légendant ce qui se passe dans le public : « Mostly you should mind your own business » (En règle générale, vous devriez vous occuper de ce qui vous regarde). Le spectateur se trouve en effet dans une position de voyeur, observant des gens faire leur métier sur leur lieu de travail – la salle de spectacle étant une extension de l’institution muséale. Un paradoxe apparaît alors à l’égard de ces actions utilitaires à la fois quotidiennes, habituelles, quasi-automatiques et absolument inédites car elles sont performées devant un public.

Bien que cette représentation semble à priori, davantage relever d’une performance que de danse à proprement parlé, cette dernière est suggérée dans les entrées et sorties chorégraphiées des régisseurs, de part et d’autre de la cimaise, tantôt de façon simultanée, tantôt désynchronisée. L’attention est portée sur le mouvement des corps coordonnés, plus ou moins rapides selon la fragilité et le poids des objets transportés. Une structure pyramidale constituée de deux escabeaux et de régisseurs pourrait même évoquer un porté de danse. Se munissant de bonne volonté, on entendrait également une certaine musicalité émaner du crissement des roues de chariots sur le sol, des branchements électriques et des perceuses.

Contrairement à une visite classique au musée, ce sont les œuvres qui déambulent devant le spectateur et imposent le temps de contemplation qui leur est voué. Elles sont ici inscrites dans l’action performatrice et appartiennent à un processus dynamique qui tient le spectateur en suspens : Combien de temps elles vont rester exposées ? Comment vont-t-elles évoluer dans l’espace ? Paradoxalement, le temps long laissé à leur contemplation nous invite à les regarder comme des formes autonomes, comme si elles ne faisaient pas partie d’une performance et se suffisaient une fois accrochées, et ce, indépendamment du lieu d’exposition, qu’il s’agisse d’un musée ou d’un plateau.

En conviant les œuvres sur les planches, Soulier accomplit le désir qu’avait Paul Valéry de sortir l’art de l’espace muséal qu’il définissait comme un « cimetière des œuvres » et réinterroge la dimension ontologique de ces dernières.

Informations pratiques

Création
Noé Soulier

Dates
Du 13 au 15 septembre 2017

Durée
1h30

Adresse
Centre Pompidou
Place Georges Pompidou
75004 Paris

https://www.centrepompidou.fr