« LE POÈTE AVEUGLE »  La profanation d’une Histoire enterrée 

Traverser la crise identitaire, à la fois personnelle et globale, au travers de sept portraits, remontant le long des différents arbres généalogiques des membres de Needcompany, c’est la proposition du Poète Aveugle. La construction de ces « portraits » diffère selon le comédien-performer concerné, laissant en apparence libre cours à l’imagination du protagoniste, laissant la possibilité à l’émotion et au sentiment de prendre le pas sur un didactisme scientifique et/ou historique. Pris dans une confusion totale entre fiction et réalité, concret et délirant, le spectateur se perd dans les esprits délurés de l’équipe de Jan Lauwers. Chaque geste ou idée peut devenir spectaculaire et artistique, ce qui entraîne deux choses : l’oublié ou le non-essentiel le devient, chaque geste, parole, origine, même lointaine est « important » ; mais l’absurde de certaines actions prennent parfois une longueur qui peut mener à la lassitude. On apprend à connaître chacun des sept, une sorte de présentation allongée de chacune de leurs Histoires, desquelles ils se font acteurs en racontant leurs différents ancêtres comme eux-mêmes, « Je suis un Viking », « Je suis un forgeron », « Je suis un Frison », etc.

Avec Le Poète Aveugle, référence au poète Abu al ‘ala al Ma’arri, Needcompany propose une réinterprétation, une réécriture de l’Histoire à partir des identités de chacun, accusant par là même les mensonges et inexactitudes de celle que nous connaissons habituellement. Si les vainqueurs et les hommes ont écrit l’Histoire, les vaincus et les femmes l’ont faite exister. Et l’on ne nous raconte toujours que ce que l’on veut bien raconter. Les comédiens de Lauwers annoncent net ce que l’on a « omis » de nous raconter, l’horreur du cannibalisme des croisés durant le siège de Maara en 1099, ou le massacre d’Antioche en 1298, auxquels ont pris part la plupart de leurs ancêtres, et par extension, les nôtres. Malgré tout, le message d’amour et d’hospitalité comme inhérents à l’humain, et particulièrement au travers de la femme, amène à se poser la question de savoir si les interprètes ont bien compris ou pris en compte ce qu’ils venaient de raconter. Nous sommes dans un monde ou la culture pure n’existe pas et n’a jamais existé, et où tous les mélanges culturels se sont faits avec violences, rejets et massacres divers. Pour preuve, tous leurs ancêtres se sont croisés au moment des croisades, l’une des plus grandes campagne à but quasi-génocidaire du Moyen-Âge. Serait-ce possible de voir cela comme une certaine naïveté ? Ou plutôt comme un espoir fou d’harmonie encore jamais satisfait ?

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© Needcompany

La maîtrise et la précision irréprochable des performers de Needcompany garantit l’entrée dans une interprétation nouvelle et onirique du passé, tel l’Angelus Novus de Paul Klee, dans l’interprétation de Walter Benjamin, évoquée par le dramaturge Erwin Jans à propos du spectacle, comme « Ange de l’Histoire ». Le regard ébahi tourné vers leurs circonvolutions musicales, théâtrales, gestuelles, farcesques, et même juste absurdes, servant malgré tout un même propos précis dans une compagnie 100% multiculturelle, on en prend plein la gueule et ça fait réfléchir…

 

Informations pratiques

Texte et Mise en scène
Jan Lauwers

Avec
Grace Ellen Barkey, Jules Beckman, Anna Sophia Bonnema, Hans Petter Melø Dahl, Benoît Gob, Maarten Seghers, Mohamed Toukabri, Elke Janssens, Jan Lauwers

Dates
Du 11 au 22 octobre 2017

Durée
2h20
(spectacle en anglais, arabe, néerlandais, français, norvégien et tunisien, surtitré en français)

Adresse
Théâtre National de La Colline
15, rue Malte-Brun
75020 Paris

www.colline.fr