« SI CE N’EST TOI », la dystopie de demain selon Edward Bond

Si ce n’est toi , de Edward Bond, mise en scène François Danieli et Yohan Paumier © Pierre-Audric Gadeau

Sur la petite scène du Théâtre de l’Opprimé se trouvent une table et deux chaises. Sur une de ses deux chaises est assise Sara, une femme en uniforme dont le regard semble complètement vide. Elle habite avec Jams, son mari policier, dans cette maison identique à celle de ses voisins, avec la même table au centre et les deux mêmes chaises de part et d’autre. De violents coups résonnent contre la porte. Jams ouvre. C’est le passé qui a frappé.

« Angoissante », voilà bien un mot qui décrit l’ambiance de Si ce n’est toi . La mise en scène de François Danieli et Yohan Paumier est d’une efficacité redoutable : trois meubles suffisent à dépeindre la société hyper répressive dans laquelle évoluent les personnages. Les deux chaises y jouent un rôle crucial : l’unique propriété, l’ultime reste d’identité de Sara et Jams qui, mis à part leur siège individuel, ne possèdent plus rien, pas même leur passé. L’histoire débute sans qu’on ne sache pourquoi, comment le monde en est arrivé là, à la manière d’un train que l’on prend en cours de route. Des bribes d’évènements de l’extérieur nous parviennent grâce aux récits des personnages, mais toutes les scènes se déroulent dans la même maison. Pas de musique, aucun son enregistré, seulement des coups contre la porte qui font sursauter et nous plongent dans une atmosphère pesante, où le monde extérieur est un danger.

Le jeu d’acteur est aussi saisissant que brutal, entre colère, peur et folie, tout se ressent à travers les visages et les gestes des comédiens. Le texte d’Edward Bond résonne à la perfection dans les éclats de leurs voix. Grâce à la petite salle du Théâtre de l’Opprimé, les comédiens créent une véritable proximité avec les spectateurs, à tel point que certaines scènes finissent par déborder dans les gradins. Ce choix de mise en scène a pour effet de « briser le quatrième mur » entre fiction et réalité, afin de nous montrer que la société totalitaire de Si ce n’est toi pourrait un jour être la nôtre. Un monde où le temps n’existe plus, dont l’Histoire a été effacée des mémoires jusqu’au paysage, dans lequel il est impossible d’avancer sans la connaissance de son passé. Et quand celui-ci réapparaît, le choc est si violent que la folie l’emporte sur tout.

Si ce n’est toi propose une réflexion sur l’identité individuelle et collective à travers le devoir de mémoire. Comment construire son futur sans connaître son passé ? Comment regagner sa liberté en s’échappant du système par les souvenirs ? Les pistes s’ouvrent sur scène et on ressort de la salle l’esprit échauffé, chacun avec sa propre interprétation de la pièce…