«Les Sidérées», d’Antonin Fradinard, mise en scène Léna Paugam au T2G

Un article d’Ondine Bérenger.

 

Le désir et l’immobilisme

 

Librement inspirée des Trois Soeurs de Tchekov, la pièce d’Antonin Fradinard raconte l’histoire de Chloé, Eileen et Joyce, de retour en Bretagne suite au décès de leur frère. Elles doivent désormais décider quoi faire de la maison qui leur appartient : la garder ? La vendre ? Ou bien la raser pour contruire quelque chose, mais quoi ? Et elles, que feront-elles ? C’est cette « crise du désir » que Lena Paugam interroge et met en relief dans cette mise en scène d’une grande sensibilité.

© Christian Berthelot

« Si l’on pouvait savoir », « il faut vivre », « je travaillerai »… La pièce s’ouvre sur ces trois phrases scandées par les trois sœurs : autant de manières d’appréhender la vie, d’essayer d’affronter la responsabilité de sa propre existence. Le ton est donné : ces principes personnels et encore inactifs sont destinés à entrer en collision avec la réalité. Au total, une seule maison pour accueillir les tentatives d’ambition de six personnages sidérés en quête de sens et d’engagement.

La très belle scénographie réaliste, signée Benjamin Gabrié, est une maison délabrée au milieu d’un terrain vague où les pas résonnent sur le gravier, où certains trébuchent sur des reliefs accidentés. L’isolement et la tension sont palpables, et bien qu’il n’y ait pas de ciel, il semble qu’il fasse gris. Présente comme un septième personnage, la bâtisse trônant au centre de l’espace scénique matérialise le champ de tous les possibles, se fait l’espace de toutes les projections. Incapables de s’entendre et de s’écouter, les protagonistes se heurtent continuellement. Chacun porte en lui l’ombre d’un désir avorté dans l’immobilisme d’une crainte existentielle, un désir de désir. Chacun se débat dans son propre enfermement, essayant vainement d’agir, enfin.

On retrouve aisément ici l’inspiration Tchekovienne du propos, mais la touche d’humour parfois absurde qui s’ajoute dans certains passages pourrait presque évoquer En attendant Godot – bien que ce parallèle soit assez abusif. Servi par des comédiens qui habitent leur rôle avec autant de ferveur que de délicatesse, le texte met en lumière cette peur du vide qui bloque les aspirations et condamne à l’inertie la plus insupportable. Loin d’être un cours de morale ou de se livrer à une pseudo-analyse psychologique, il nous interroge profondément sur ce renoncement à l’action qui semble figer notre société. Cependant, point de pessimisme ni de complaisance facile, car il propose également des pistes pour sortir de cet enfermement et ré-apprendre à communiquer, à rêver pour agir ensemble et retrouver ainsi les moyens de construire un futur meilleur.

Une belle création d’une intelligence réconfortante, qui nous laisse emplis d’une force renouvelée.

© Christian Berthelot


 

Les Sidérées

Texte Antonin Fadinard

mise en scène Lena Paugam

avec Leslie Bouchet, Sébastien Depommier, Antonin Fadinard, Pierre Giafferi, Hélène Rencurel et Fanny Sintès

création sonore Vassili Bertrand

création lumière Jennifer Montesantos

scénographie Benjamin Gabrié

contribution musicale, Nathan Gabily

 

du 20 au 24 janvier
 

Théâtre de Gennevilliers
41 avenue des Grésillons
92230 Gennevilliers
 

www.theatre2gennevilliers.com