Les Vibrants, texte d’Aïda Asgharzadeh, mise en scène par Quentin Defalt, au théâtre de La Reine Blanche, scène des arts et des sciences

Un article de Thibault David

Gueules cassés et masques de peau

1914. Début de la première guerre mondiale. Les soldats partent au front. On connait l’histoire, beaucoup n’en reviendront pas. Certains y survivront, parfois entiers, d’autres sacrément amochés. On les appellera les Gueules Cassées. Les blessés de guerre.
Les Vibrants nous propulsent sur les traces d’Eugène, soldat engagé volontaire dans les tranchées de Verdun, perdant la moitié de son visage, devant réapprendre à vivre avec son identité disparue.

Trois rideaux de tulles, ensanglantés, composent la scénographie simple et redoutablement efficace de la scène. Simple, car elle se contente de tissus et de quelques bancs et chaises. Redoutable, puisque ces rideaux permettent une délimitation parfaite des différents lieux : c’est clair, efficace, et très intelligent. Très beau, aussi. On sent l’hôpital, on voit la scène de la Comédie Française, ses coulisses.
Car les horreurs de la Grande Guerre vont être soignées par le théâtre : Sarah Bernhardt, en rencontrant Eugène, lui proposera de jouer Cyrano de Bergerac. Un nouveau visage, ce nez, même fictif, qui lui permettra de retrouver la force de se relever. Le masque de guerre et le masque de théâtre : quelle est la différence entre la prothèse cachant la blessure, et le masque nasale propre à Cyrano ? La réappropriation de son identité par la fiction, la vie, même inventée, en réponse à la mort : l’écriture très fine d’Aïda Asgharzadeh fait mouche.
Quatre comédiens pour treize personnages : les changements fusent, aucun temps mort, et une maîtrise merveilleuse des interprètes font qu’on ne lâche pas une seconde la scène des yeux. Tout est maîtrisé ; chaque détail est pensé, réfléchi ; cette mort qui rôde, dans les tranchées, à l’hôpital, se ressent même sur chaque costume – des traces de sang qui ornent discrètement les manches ou les bas de robes.
Les bruits d’obus, des fusils ; séquences hallucinatoires où les voix se déforment, souvenirs blessés de la vie d’avant ; quelques notes de pianos, jamais trop appuyés. Le travail sonore achève de nous plonger dans l’histoire – grande ou non.
Il en ressort une pièce admirable. C’est investi, c’est vivant, c’est bien joué, c’est bourré d’humanité : Les Vibrants nous prennent aux tripes. Un véritable coup de cœur.

 


Les Vibrants

Compagnie Teknaï
Texte
Aïda Asgharzadeh
Mise en scène
Quentin Defalt
Avec
Aïda Asgharzadeh
Benjamin Breniere
Matthieu Hornuss
Amélie Manet
Scénographie
Natacha Le Guen de Kerneizon
Lumières
Manuel Desfeux
Costumes
Marion Rebmann
Musique
Stéphane Corbin
Création sonore
Ludovic Champagne
Masques
Chloé Cassagnes
Production
Teknaï
Coproduction
Maison du Théâtre et de la Danse d’Epinay-sur-Seine

 

Du 9 mars au 15 avril 2017

 

Durée : 1h30

 

La Reine Blanche, scène des arts et des sciences
2 bis passage ruelle
75018 Paris

http://www.reineblanche.com/