« APRES LA REPETITION »  Derrière les coulisses, la scène 

Un metteur en scène (Nicolas Liautard) reçoit en coulisse l’actrice protagoniste de son spectacle. Elle est jeune, il l’est moins, elle est passionnée, lui aussi. Ils se cherchent et s’apprivoisent… et fascinent notre regard. La voix posée d’Anna (Carole Maurice), n’est pas sans rappeler celle que Lauren Bacall travailla pour assurer son succès à Hollywood, tandis que son partenaire à l’écran (Humphrey Bogart), plus âgé, tombait amoureux. Car c’est bien de cela dont il est question, une histoire de séduction, le jeu du chat et de la souris. Un moteur de création artistique sans doute ? L’auteur Ingmar Bergman nous offre cependant plus avec Après la répétition. La pièce est un prétexte savoureux à ses réflexions les plus abouties sur la direction d’acteur. L’illustre cinéaste suédois, assez méconnu en France sous la casquette de metteur en scène, consacre près de soixante-dix ans de sa vie au théâtre.

Nicolas Liautard est l’heureux adapteur de cette pièce créée pour la télévision. Dans le désordre d’un plateau figé par le temps, un décor impénétrable, qui voit défiler des êtres qui se fuient, en quête d’eux-mêmes. De cette dualité, naît ce qu’appelle le metteur en scène : « les personnes sous les personnages, et les personnages sous les personnes ». Face à nous bât en effet le cœur du théâtre, au sens le plus noble, le plus antique du terme. Ingmar Bergman en « démonstrateur » de l’art de scène, nous prouve notre crédulité face à l’illusion théâtrale, en nous mettant face à une réalité cachée, celle de l’envers du décor, la vie des illusionnistes, mettant en avant ce qui est « obscène », hors de la scène, du spectacle. Et pourtant, force est de constater que la vie des gens de théâtre s’avère tout aussi romanesque qu’une œuvre du répertoire classique.

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© Robert de Profil

 

Les dialogues, nerf de la pièce, paraissent sortis tout droit d’une conversation spontanée. C’est peut-être pour cela qu’une captation sonore, comme prise sur le vif, nous fait d’abord entendre les voix des personnages en coulisse, avant qu’ils n’apparaissent pour de bon. De même que le théâtre influence le cinéma, les références aux méthodes cinématographiques sont nombreuses dans cette adaptation, comme débordant de la source initiale. Par exemple, quand le passé ressurgit sous les traits de Rakel (Sandy Boizard, très convaincante), c’est sans bruit, introduit sur scène comme le glissement d’un rideau de soie (ou d’une simple coupe au cinéma, à laquelle on ne prête pas attention dans le montage). Liautard étoffe les réflexions de l’auteur par de captivants tableaux vivants des personnes qui vivent le théâtre et nous le font vivre à travers eux. Créer : comment, avec quoi, et pour qui ? Son regard en coulisse, rare, est presque documentaire. Dans un désordre commun à tous les plateaux (télé, tournage ou théâtre), les corps s’agitent, s’assoient, se servent du café. Souples et méthodiques. Ils ont l’habitude. Rien n’est laissé au hasard, pourtant, pas une réplique. L’illusion de la réalité doit être impeccable. D’ailleurs, les comédiens peuvent parler bas, tourner la tête, ils sont reliés par un micro sans fil qui leur donne une large liberté dans leur jeu. C’est ingénieux. Ainsi, « le résultat est ce morceau de télévision cinématographique qui parle de théâtre », écrit Bergman. Et l’adaptation de Nicolas Liautard, la réussite d’une mise en abyme habile et douce-amère, qui laisse échapper un parfum de bonheur. Celui d’avoir mené cette œuvre théâtrale inclassable là où elle a pour vocation d’aller : sur scène.


Informations pratiques

Auteur(s)
Ingmar Bergman

Mise en scène
Nicolas Liautard

Avec
Sandy Boizard, Nicolas Liautard et Carole Maurice

Dates
Du 27 avril au 28 mai 2017

Durée
1h20

Adresse
Théâtre de la Tempête
La Cartoucherie
75012 Paris

https://www.la-tempete.fr