« OTHELLO » de Sivadier érigée en farce tragicomique ultra-contemporaine

Othello, mise en scène Jean-François Sivadier © Jean-Louis Fernandez

Accueilli en plein cœur d’une tournée en France par le Théâtre de l’Odéon, Jean-François Sivadier fête les 500 ans de l’immortelle tragédie d’Othello de Shakespeare avec panache et … beaucoup d’humour.

Immortelle ? Rien n’est si sûr quand on s’adresse à un grand classique. Le risque est de pencher du côté du conformisme mou et poussiéreux ou de basculer vers la modernisation prétentieuse et appauvrie. De ce danger découle la question : pourquoi rejouer cette pièce au vingt-et-unième siècle ?

S’il ne se l’est pas posée, Sivadier y répond pourtant avec intelligence et non sans engagement. Il le dit lui-même : « c’est une pièce sur l’emprise, sous toutes ses formes : l’emprise amoureuse, celle du discours politique, celle du patriarcat […] surtout celle que la République de Venise exerce sur le Maure ».

Le spectacle commence sur le signe de l’ouverture et de l’entrave aux règles absurdes : Othello – Adama Diop – et Desdémone – Émilie Lehuraux – s’amusent à traduire des mots du wolof invitant la salle à s’ouvrir sur deux langues étrangères : du Maure et de Shakespeare. Leur échange finit par leur fameux mariage ; secret car désapprouvé par un système ouvertement raciste. Les amants sont dominé·es par de grandes bâches en plastique rappelant l’artificialité du pouvoir. On verra le sénateur Brabantio tenter de cacher bêtement ses parties intimes derrière ce rideau transparent.

On le sait, c’est là toute la tragédie, le signe d’ouverture sera de courte durée. Il est vite mis à mal par l’ambition, surlignée ici de masculinité. Qu’elle soit de l’ordre de la séduction amoureuse, de la réputation sociale ou du gain, cette ambition est portée au ridicule par la plume de Shakespeare comme par la direction de Sivadier. Loin d’enfermer Desdémone derrière un idéal traditionnel de la femme – lisez obéissante et aimable à toute épreuve –, Émilie Lehuraux ne cache pas le désir d’émancipation et d’aventures de cette Vénitienne. Avec le personnage d’Émilie (Jisca Kalvanda), elles ne tournent pas sept fois leur langue avant d’exprimer injustice et révolte. Cela ne les épargnera pas de la violence d’un système raciste, patriarcal et abusif. C’est l’horreur de cette réalité qui nous est dépeinte sur les planches.

Horreur sans pathos car le parti le plus osé est un ludisme omniprésent. L’humour est indéniable dans l’écriture même de Shakespeare et exacerbé dans cette interprétation contemporaine. Ravissant à certains moments, il finit parfois par lasser car érigé comme une barrière contre l’identification aux personnages qui perdent de leur sincérité au cœur de leurs tourmentes. La place est à la décortication des enjeux que les spectateur·trices observent avec distance. C’est un choix intelligent que de ne pas sombrer dans le bain du pathos et du sentimentalisme mais qui est mis à l’épreuve par les 3h30 de spectacle. Le rythme est là, le jeu nuancé et puissant des acteur·trices est admirable et le choix d’un théâtre non élitiste, vivifiant (nombreuses références à la culture pop : Dalida, Queen, le Joker, les Spaghetti) mais la tragédie perd de sa force pour se faire farce.

Coup de cœur pour la scène miroir après entracte entre Iago – Nicolas Bouchaud – et Othello. Elle interroge – et continue d’interroger bien après les portes du théâtre closes – sur le pouvoir de la manipulation et le risque de basculer du meilleur vers le pire en un claquement de langue.

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Othello, mise en scène Jean-François Sivadier © Jean-Louis Fernandez

Informations pratiques

OTHELLO – Création 2022

Auteur(s)
William Shakespeare

Mise en scène
Jean-François Sivadier

Avec
Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop,
Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda, Émilie Lehuraux
Collaboration artistique Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit
Scénographie Jean-François Sivadier, Christian Tirole, Virginie Gervaise
Lumière Philippe Berthomé, Jean-Jacques Beaudouin
Costumes Virginie Gervaise
Son Ève-Anne Joalland
Accessoires Julien Le Moal
Assistante à la mise en scène Véronique Timsit

Dates
Du 18 mars au 22 avril 2023 au Théâtre de l’Odéon, Paris
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h, relâche lundi

Durée
3h20 (avec entracte)

Adresse
Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris

Informations complémentaires

Odéon – Théâtre de l’Europe
www.theatre-odeon.eu