« POINT D’ORGUE » de Nicolas Girard-Michelotti, “La musique fait silence en soi en mettant de l’harmonie à la place de la merde”

Qu’est-ce que le point d’orgue ? C’est une expression synonyme d’apogée, de point culminant. En solfège, c’est une note qui doit s’accompagner d’un temps de silence, un silence où la note reste tenue, comme un écho. Le Point d’orgue de Nicolas Girard-Michelotti, c’est un « saut d’obstacle de la musique […] On suspend le tempo, les lois de la physique, on interrompt momentanément la poussée vertigineuse de la musique vers sa fin » (Marc). La pièce explore cet instant si propre à la tragédie, l’acmé d’une succession d’évènements, ce temps de tension suprême où les personnages laissent enfin place à leur parole vraie, ou supposée vraie.

Dans Point d’orgue, les membres de « l’Ensemble », un groupe de chanteurs lyriques, croient se réunir pour fêter leur dix ans d’existence. Mais Marc, l’un des pionniers, en annonce la dissolution. De sa maladie qui le condamne à court terme, il ne dira rien. Le temps d’une nuit de crise, où les langues se délient, chacun se positionne, exprime ce que créer de la musique – ou faire partie d’un groupe – peut avoir de vital. Pour les membres de « l’Ensemble », cette cérémonie de la mémoire est tout autant l’histoire d’une fin qu’un récit des origines ; l’étape ultime d’un deuil inachevé.

Un personnage de théâtre, à la simple lecture d’une pièce, ne nous apparaît qu’à travers ses mots. Toute la difficulté d’une telle écriture réside dans une caractérisation littéraire, verbale, réduite. Et justement, dans Point d’orgue, Nicolas Girard-Michelotti réussit à rendre chacun des six personnages parfaitement reconnaissables, en peu de répliques et dès la scène liminaire. Tout au long de l’évolution dramaturgique, il prend le temps de les approfondir, faisant de son récit, en apparence centré sur le classique un seul lieu – un seul temps, une histoire plurielle et dense. Le développement des personnages se fait avec finesse, dans les instants privilégiés que sont les tirades, véritable occasion de confession et de libération de la parole, sans que jamais l’écriture s’en trouve alourdie.

Ces personnages sont d’autant plus intéressants et complexes qu’ils sont tout à la fois personnages incarnés et personnages incarnant. En effet, Point d’orgue se présente comme une mise en abyme, qui part de la volonté des personnages de reconstituer leur histoire à partir d’un souvenir clef. Le récit navigue entre diverses temporalités, correspondant, précédant et suivant la nuit de crise. Avec cette mise en abyme, le dramaturge révèle et assume le mensonge du théâtre. Puisqu’il s’agit, pour les personnages, d’une reconstitution, d’une réécriture de leur propre histoire, la vérité est sublimée, simplifiée, réinventée, parce que fondée sur des souvenirs.

Mais c’est aussi à travers ce mensonge que jaillit la vérité : « les discours ne sont pas comme les vagues, qui s’effacent les unes des autres. Ce sont plutôt des sédiments. Et je crois que la vérité n’existe que dans cette épaisseur » (Juliette). La vérité de ces personnages s’expriment au moment de l’acmé de leur crise, au moment de leur « point d’orgue ». Chacun leur tour, ils laissent libre cours à leur parole pour exprimer la relation qu’ils entretiennent avec la musique. Et soudain théâtre et musique ne font plus qu’un pour exprimer des problématiques très personnelles mais aussi très contemporaines, communes : éco-anxiété, harcèlement sexiste, solitude, jeunesse qui passe, maladie et fatalité… Leur musique est un rapport au monde, à eux-mêmes et à autrui. Et grâce au cadre théâtral qu’ils réussissent enfin à se connaître les uns les autres.

L’œuvre est lauréate du concours d’écriture des Maisons Mainou 2019.
Cette création inédite a été mise en espace au Théâtre Am Stram Gram de Genève en 2022.

Informations pratiques

Auteur(s)
Nicolas Girard-Michelotti

Prix
15 euros

Éditions Les Solitaires Intempestifs
www.solitairesintempestifs.com