« ALCIONE »  Foisonnement baroque, voyage intemporel 

Composée en 1706 par Marin Marais sur un livret d’Antoine Houdar de la Motte, Alcione marque cette année la réouverture de la salle Favart, effectuant ainsi son grand retour dans la capitale, où elle n’a pas été jouée depuis 1771.

Fille d’Eole, Alcione va épouser Ceix, roi de Trachines, qu’elle aime d’un amour réciproque. Mais hélas, leur bonheur est contrarié par Pélée (ami de Ceix et amoureux d’Alcione), le magicien Phorbas et son acolyte Ismène, qui convoquent les forces occultes afin d’empêcher cette union.
Pour rendre hommage à la beauté baroque de l’oeuvre, Louise Moaty, assistée de Raphaelle Boitel à la chorégraphie, nous livre une mise en scène foisonnante où sont conviés les arts du cirque et les techniques du théâtre à l’italienne.

S’il est une chose marquante dans cette représentation, c’est très certainement sa richesse d’images : chaque tableau possède une atmosphère qui lui est propre et semble jongler avec les inspirations artistiques. Ainsi, nous traversons un premier acte où l’omniprésence des fils et le décor tout simple du palais feraient songer à un théâtre de marionnettes grandeur nature, avant d’être plongés dans une vision des enfers qui n’est pas sans rappeler certaines gravures de Gustave Doré ou encore les détails de la Porte des Enfers de Rodin. Un instant plus tard, nous voilà sur le pont d’un navire au milieu des grééments, ou perdus dans les voilages blancs qui substituent le rêve à la réalité. De plus, la variété des couleurs de costumes, des lumières et la disposition de ces corps en scène ne manquent pas d’évoquer certaines compositions picturales baroques, à l’image des toiles de Rubens ou de Coypel. La poésie est partout, et se révèle davantage encore dans la grâce et l’élégance des circassiens qui se meuvent sur toute la hauteur du cadre de scène : là où l’oeuvre convie dieux et démons, scéniquement, c’est bien sur les lignes de rivage et d’horizon, dans cet espace entre ciel, terre et mer que se déroule la tragédie.

Bien que toute la machinerie largement apparente semble de prime abord austère, elle se révèle vite être un élément capital de cette magie visuelle – il suffit de voir les câbles danser au rythme de la musique… Il faut dire qu’Alcione est une œuvre idéale pour rendre hommage à une longue histoire de technique théâtrale : la profusion d’occurrences surnaturelles qu’elle contient – et son rapport à la mer à partir de l’acte III – en fait une pièce à machines qui appelle l’emploi des guindes, fils et autres drisses hérités des marins qui, dès le XVIIe siècle, manoeuvraient les décors depuis les dessous ou les cintres des théâtres à l’italienne.

ALCIONE -
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© Vincent Pontet

Côté musical, l’acoustique de la salle Favart est un écrin précieux qui fait ressortir des harmonies d’une limpidité émouvante. L’orchestre, savamment dirigé par Jordi Savall, met en avant toute la puissance évocatrice de la composition de Marin Marais à travers un jeu riche en nuances, en mouvements tantôt retenus ou exclamés, toujours ensemble. On se surprendra à être parcouru d’un frisson dès le début de l’ouverture… Sur scène, le trio formé par Léa Desandre (Alcione), Cyril Auvity (Ceix) et Marc Maurillon (Pélée) est plein d’une présence radieuse. On déplorera seulement, dans la scène de la tempête et le début de l’acte V, une performance un peu trop lisse : l’oeuvre appelle cette intensité qui, ici, reste un peu timide, légèrement en dessous de ce qu’elle aurait pu être – mais pas absente pour autant. Léa Desandre, avec son trille superbe, maîtrise les mouvements et la projection de sa voix avec une grande virtuosité à laquelle Cyril Audity répond par un chant lui aussi toujours chargé d’une belle puissance émotionnelle. Marc Mauillon est également touchant dans son rôle d’ami tiraillé entre sa loyauté et son amour ; son timbre chaud et sa très belle prononciation séduisent immanquablement. A leurs côté, Lisandro Abadie (Phorbas) campe un magicien maléfique au chant riche en nuances infernales ou manipulatrices. Saluons également la polyvalence de plusieurs de ces artistes (choristes ou solistes) qui n’hésitent pas à chanter suspendus dans les airs, en pleine acrobatie ou en manoeuvrant les fils : cela ne leur facilite pas la tâche, et pourtant la qualité musicale reste toujours aussi belle et homogène.

Ainsi, avec sa modernité emprunte de baroque et métissée d’inspirations artistiques diverses, cette création rend un hommage vibrant à l’oeuvre de Marin Marais, en convoquant l’Histoire des arts pour mieux mettre en valeur l’intemporalité et la puissance évocatrice d’Alcione. Une merveilleuse célébration pour la réouverture de la salle Favart.


Informations pratiques

Auteur(s)
De Marin Marais
Sur un livret d’Antoine Houdar de la Motte

Mise en scène
Louise Moaty
Direction musicale – Jordi Savall

 

Avec
Léa Desandre, Cyril Auvity, Marc Mauillon, Lisandro Abadie, Antonio Abete, Hasnaa Bennani, Hanna Bayodi-Hirt, Sebastian Monti, Maud Gnidzaz, Lise Viricel, Maria Chiara Gallo, Yannis François, Gabriel Jublin et Benoît Joseph Meier

Dates
Du 26 avril au 7 mai 2017

Durée
3 h

Adresse
Opéra-Comique (salle Favart)
1 place Boieldieu
75002 Paris

http://www.opera-comique.com