« NI COURONNE NI PLAQUE » Joyeuse immersion dans le royaume des morts

Pour la quatorzième année consécutive, le Théâtre 13 met à l’honneur la jeune création à travers son Prix Théâtre 13 / Jeunes metteurs en scène, dont l’objectif est de favoriser la rencontre entre les jeunes professionnels du spectacle vivant et les institutions, afin de réduire la précarité liée au manque d’accompagnement des artistes en début de carrière. Chaque année, six projets (parmi 80 concurrents) sont ainsi retenus et présentés au Théâtre 13 devant public, journalistes, directeurs de théâtre et acteurs institutionnels.

Cette année, parmi les spectacles finalistes, nous avons pu découvrir l’oeuvre de Janice Szczypawka Ni couronne ni plaque, une pièce documentaire originale sur la vie des employés d’une entreprise de pompes funèbres. Avec une légèreté aussi importante que le sujet abordé est grave, on entend parler de formulaires à remplir, de matériaux à fabriquer les cercueils, de coûts de cérémonies funéraires ou encore de techniques d’embaumement, le tout avec humour et simplicité, dans une approche désacralisée et désacralisante de la mort. C’est énergique, drôle et instructif, finalement presque apaisant : un bon moyen de casser le tabou autour des métiers liés à la mort, de rappeler qu’ils sont tout aussi techniques, administratifs et humains que les professions plus conventionnelles, et que c’est là une affaire de gens vivants, oeuvrant avant tout pour d’autres gens vivants.

À dire vrai, on regrette que le spectacle ne puisse pas prendre davantage de temps pour développer les thématiques abordées, car l’aspect didactique est très bien conçu, avec beaucoup d’inventivité à la fois dans l’écriture et la scénographie (l’utilisation du body painting pour expliquer l’embaumement, notamment, est formidable d’intelligence, de clarté et d’esthétisme), et donne envie d’en savoir davantage. De plus, la construction dramaturgique aurait sûrement mieux fait sens dans une forme plus longue : le modèle cyclique nous mène ici un peu trop rapidement – et de manière trop attendue – à la fin, et donne parfois le sentiment d’un manque de fil conducteur interne, là où en réalité, celui-ci n’a tout simplement pas le temps d’émerger clairement pour lier les différentes parties du spectacle. Cependant, ce petit goût de trop peu, que l’on sait probablement dû à la forme imposée par le Prix Théâtre 13, n’est que le contrepoint d’une œuvre réussie, qui révèle un fort potentiel. D’ailleurs, le style théâtral n’est pas sans rappeler parfois celui d’Elise Chataurait – qui se consacre depuis plusieurs années au théâtre documentaire ! En effet, les acteurs semblent adopter un type de jeu similaire, parfois légèrement excessif sans être caricatural : ils créent, avec un tendre sens de la dérision, des personnages hauts-en-couleurs qui imitent les personnes réelles rencontrées lors de leur immersion ; ils reprennent non seulement leurs mots mais s’approprient également leurs tics, leur présence, leur personnalité pour en faire… du théâtre.

Ni couronne 1 (c) Jules Audry
Ni couronne 4 (c) Jules Audry
Ni couronne 2 (c) Jules Audry

Ni couronne ni plaque de Janice Szczypawka © Jules Audry

Côté visuel, on peut dire que la formation plasticienne de Janice Szczypawka se ressent immédiatement, notamment à travers l’attention portée à l’utilisation des couleurs. La scène n’est jamais glauque, jamais lugubre, à mille lieues d’exploiter les clichés liés à la mort : dans la boîte noire du théâtre, même quand tout est sombre, il y a de la vie, des éclats de couleurs saturées qui rendent les images joyeuses, que ce soit à travers les costumes, les accessoires ou les quelques éléments de décor. Tout est affaire de contrastes et de rappels : ici, pas de camaïeux ou de nuances, tout est vif, brut, un seul bleu, un seul vert, un seul rouge qui se fait écho entre une jupe, un formulaire et une fleur. Ce parti pris esthétique permet de créer un espace irréaliste plein de vitalité où affleure la symbolique de chaque élément. Au plafond, des bouquets funéraires semblent indiquer notre voyage six pieds sous terre, tout en apportant encore plus de couleurs… La scène est photographique, ne manquerait plus que d’une création lumière plus radicale pour faire preuve d’un style vraiment exceptionnel.

Bien que le spectacle n’ait pas remporté le Prix du Théâtre 13, Ni couronne ni plaque a reçu la mention spéciale du concours. Il s’agit là d’une proposition riche et captivante qui témoigne d’une vraie puissance créatrice de la part de la jeune artiste Janice Szczypawka (qui est non seulement metteuse en scène mais aussi autrice, scénographe et costumière) et de son équipe. Un talent à suivre…

Remise Prix Théâtre 13

Remise Prix Théâtre 13 par Laëtitia Guédon, présidente du jury et directrice des Plateaux Sauvages et les membres du jury en arrière plan
Prix du Jury : Villa Dolorosa, texte Rebekka Kricheldorf, mise en scène Pierre Cuq
Mention spéciale du concours : Ni couronne ni plaque de Janice Szczypawka
Prix du public : Destin(s) de Jérôme Cochet

Informations pratiques

Auteur(s)
Janice Szczypawka

Mise en scène
Janice Szczypawka

Avec
Garance Bonotto, Tristan Boyer, Camille Dorgoigne, Martin Jobert, Fanny Jouffroy, Ulysse Reynaud, Janice Szczypawka

Durée
1h15

Dates
Vendredi 14 juin et samedi 15 juin 2019 à 20h

Adresse
Théâtre 13
30, rue Chevaleret
75013 Paris

Informations complémentaires
www.theatre13.com